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Denis Tillinac

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Du spleen corrézien aux arcanes du pouvoir, du chroniqueur agacé au romancier désinvolte, en passant par l’astucieuse direction de la Table Ronde, Denis Tillinac propage avec panache sa liberté.  Celle d’un néo hussard hardi, aux vies multiples et aux passions fidèles. 

Le plus parisien des provinciaux et le plus provincial des parisiens cumule ce qui s’apparente à du plaisir. Sous toutes ses coutures; sans fuir le paradoxe. Amoureux transi de la France, viticole éclairé, adepte de baroque et de rock, insatiable amateur d’ovalie, catholique déclaré et surtout rebelle conciliant. C’est du moins ce qu’on aime à en dire. C’est mal le lire. La modernité  et la veulerie en prennent pour leur compte. ça purge de certains mythes, ça brise quelques totems ; on n’en ressort pas indemne.

Romancier au charme blondinien tantôt couronné, tantôt éreinté, Tillinac ne se complairait pas à se reposer. Un roman, un voyage, un conseil, un discours ou un diner ; il ne possède pas l’ambition qu’on lui prête.  Trop négligent , trop volatil ? Peut-être juste trop humain. Avec cette fâcheuse tendance à arpenter les chemins buissonniers de l’existence en faisant danser la plume d’une insolente lucidité. Le bonheur taillé en art de vivre, glisse en lui comme une considération plus intéressante que l’argent et les fastes politiques. C’est ce qui le rend si pétillant.

La providence a souri à cet ancien cancre parisien (qui a tout de même fini par décrocher un diplôme de Sciences-Po à Bordeaux et une licence de philosophie). Après avoir songé à devenir le Rimbaud ou le Boniface de la fin du XXe siècle, puis hésité entre la Légion et le monastère, il s’est retrouvé, ô joie, au pays de ses ancêtres, en Corrèze, dans la peau – plus prosaïque – de journaliste pour La Dépêche du Midi. Cinq ans à sillonner la région au volant d’une vieille 4L et le voilà jeune auteur chez Robert Laffont. L’éditeur de la place Saint-Sulpice se prend d’affection pour le futur membre de « L’école de Brive », le mensualise, l’héberge à l’occasion et lui présente quelques bonnes fées. Dorénavant, l’auteur du Rêveur d’Amérique va alterner les grands reportages au Madame Figaro puis au Figaro Magazine et les romans ou essais. On aime ou on n’aime pas « le bon réac de service » des intellectuels de gauche. Mais un homme qui se réclame pêle-mêle de « Villon et d’Artagnan, Pascal et Pelé, Chateaubriand et Cliff Richard », qui chante juste toutes les chansons d’Elvis Presley.

Denis Tillinac joue à être éditeur depuis qu’en 1989 un propriétaire en costume trois- pièces lui propose la direction de La Table ronde. Ses amis le poussent à accepter. Banco! Il constitue son équipe (décrite ici avec beaucoup d’humour et de tendresse) à coups de transferts, fonce tête baissée dans la mêlée, prend des coups (aigreur des refusés, méventes), marque aussi des points. Et puis, il y a les belles rencontres avec des écrivains comme Jean-Claude Pirotte, Pol Vandromme, Xavier Patier… Pourtant, et l’imparfait utilisé tout au long de son récit résonne comme une page qu’on tourne, Denis Tillinac semble un peu las de son métier d’éditeur.

C’est que, contrairement à son grand ami Jacques Chirac, Tillinac affectionne les quinquennats. « Dieu sait que je suis enclin à me lasser de tout », constate-t-il dans son ouvrage. En fait, cet ancien demi de mêlée aime avant tout jouer. Mais une fois la partie gagnée, ou perdue… Aussi, dès le lendemain de la victoire de Chirac comprend-il que sa place n’est plus auprès des jeunes gens cravatés. Le mousquetaire du RPR, le gaulliste du Danton le crie aujourd’hui haut et fort: « Un écrivain ne doit pas dépendre du prince, ni lui tourner autour… Un écrivain n’a pas sa place dans la comédie sociale… Rien de plus laid qu’une plume serve… » Est-ce pour s’être brûlé les ailes? Avoir approché les affres du pouvoir? Côtoyé les gens de la rive droite? Toujours est-il que le « compagnon de route » (il a fait définitivement sienne cette appellation) de Jacques Chirac, fervent agitateur intellectuel de sa campagne, a décidé de prendre le large. Finies la politique politicienne, la bagarre à fleurets mouchetés contre « Sa simplicité » Balladur, Mitterrand le nihiliste, les socialistes « et leur costard de chez Smalto », la caste des énarques aveugle devant les fractures de la société… A nous deux, le monde! Le monde? « Oui, l’Asie, l’Afrique, partout où le destin de l’homme se joue aujourd’hui. » 

Parbleu! De la Corrèze au Zambèze, le d’Artagnan de Tulle n’a pas froid aux yeux. Titre de représentant officieux du Président pour la francophonie en poche, Tillinac entendait batailler pour la langue française et promouvoir une politique novatrice d’immigration avec les pays francophones.

… Mais l’auteur de L’été anglais n’oublie pas qu’il est surtout et avant tout un écrivain. Il l’avoue avec une franchise étonnante, il aimerait enfin écrire un grand roman, africain: « J’ai une seule ambition dans la vie, c’est d’essayer d’être un grand écrivain français. Jusqu’ici, en bon styliste, je n’ai écrit que des petites mélodies. La critique a été très complaisante avec moi, j’ai eu beaucoup de chance. » 

Le Chirac dont il retient l’image est un Chirac crépusculaire, usé par le pouvoir, tiraillé par la mauvaise conscience, ballotté par tous les vents, errant dans l’Élysée comme l’autre à Césarée.

«Sur la foi d’un physique et d’un style, je m’étais fabriqué un Chirac en Bonaparte au soleil d’Austerlitz qui n’a jamais existé. D’ailleurs Chirac déteste Napoléon. Déteste-t-il l’Occident comme le pense Bayrou ? Il n’aime pas Rome, c’est un indice. J’entends la Rome impériale et la pontificale, dont les vestiges font mes délices. Il y a dans la grandeur, dans la splendeur, une arrogance qui lui déplaît, pour des raisons peut-être très intimes.» C’est ainsi que le Grand Jacques est rhabillé en Chirac le Petit. Le coup de croc est mauvais. On songe à Sumo, le bichon de l’ancien couple présidentiel qui a mordu son maître sans prévenir.

Fini «Chirac le Gaulois», franc compagnon, amateur de gin tonic, rigolo et sans pudeur dont Denis Tillinac s’était fait le héraut — le livre qu’il a publié sous ce titre en 2002 aux éditions de la Table Ronde a d’ailleurs disparu de sa bibliographie. Fini l’époque où le romancier sortait son porte-plume du tiroir aux souvenirs pour écrire une Lettre ouverte à Jacques Chirac pour le sauver de ses «amis» — entendez Édouard Balladur et les représentants de la «droite cachemire» recrutés dans l’Ouest parisien. Cette Lettre ouverte publiée chez Albin Michel en 1995 a elle aussi disparu de la rubrique «Du même auteur». Dommage. On y trouve des notations piquantes sur les politiciens qui «prennent leur éthique dans la Sofres comme Montaigne dans Sénèque» à défaut de poursuivre un grand dessein.

Toute l’eau de la mer n’effacera jamais une tâche de sang intellectuelle, mais un coup de gomme a vite raison de quelques livres ficelés à la hâte à l’occasion d’une campagne présidentielle. «Il y a des choses que j’ai écrites en 1995 et 2002 que je ne réécrirai pas aujourd’hui, assure Denis Tillac. Je suis incorrigible, ce que j’aime dans les campagnes présidentielles, c’est l’odeur de poudre, l’ambiance de castagne des avant matchs à Aurillac ou Mont-de-Marsan. La politique, c’est comme le rugby. Les gens jouent leur peau sur le terrain. C’est gentil, le romantisme du dernier carré et les petits gars qui se consolent d’avoir perdu en se disant qu’ils avaient les plus belles chansons. Mais seule la victoire est belle.» Lorsqu’on s’étonne d’un ton cruel à l’égard d’amis qui, tels Jean-Louis Debré, ont opté pour le beau geste de celui qui ne se rend pas, Denis Tillinac assume en surenchérissant. «Jean-Louis se trompe. Comme lui, j’ai connu le vrai Chirac : il était plus droitier que Le Pen. Lorsqu’il s’est installé à l’Élysée, Pilhan et Villepin l’ont retourné comme une crêpe en trois mois. Plus tard, il s’est fait droitdelhommisé par Claude. On ne s’en sortait plus avec toutes ces histoires de repentance et de lois mémorielles. Avec des millions de Français, j’ai été heureux de voir le climat changer en mai 2002. On est passé de la langue de bois des énarques aux dialogues de Blier et Ventura dans la cuisine des Tontons flingueurs. La France en avait besoin. Le malheur qu’il fallait lui éviter, c’était de tomber entre les mains de socialistes.» Ni droite, ni gauche, Tillinac ? «Je ne comprends rien à la politique, jure-t-il. Je ne regarde jamais la télévision, je n’écoute jamais la radio et je lis le journal à peine une fois par semaine.»

Il soutient Pécresse «parce qu’elle est belle»

Inutile d’interroger Denis Tillinac sur le baccalauréat à la carte imaginé par son «copain» Xavier Darcos ou sur la réforme des universités préparée par Valérie Pécresse. Le romancier soutient ce dernier projet «parce que Pécresse est belle». Un point c’est tout. Inutile également de lui demander comment il peut avoir écrit un Dictionnaire amoureux (Plon, 2007) à la gloire d’une France rurale en noir et blanc et soutenir tous les plans de modernisation du vieux pays. Denis Tillinac n’a jamais prétendu respecter le principe de non-contradiction. Il avoue sans vergogne oublier sans lenteur la moitié de ce qu’il dit et les trois-quarts de ce qu’il écrit.

Nous étions venus chargés de quelques copies de sa chronique hebdomadaire dans Valeurs actuelles, avec l’intention de l’interroger sur sa défense individuelle des membres du gouvernement, mais l’auteur de Spleen en Corrèze grogne : «Ce que vous ne voulez pas comprendre, c’est que la politique ne m’intéresse pas. Je suis un écrivain.». Pourquoi alors ne pas tenir un feuilleton littéraire ? «Parce que la littérature n’intéresse plus les gens.» Un constat terrifiant dans la bouche d’un homme qui a été pendant dix-sept ans le PDG des éditions de la Table Ronde et qui avoue avoir tourné la page. «Les noms font resurgir des visages et de scènes de genre, mais les titres ne me disent plus grand chose. Tous ces livres que plus personne n’effeuillera, quelle étrange nécropole ! À quoi bon écrire ? Tout ce papier dont j’ordonnais la mise au pilon, quand la durée des livres touchait à sa fin. Trois mois environ. Au suivant !» Il y a pourtant des noms remarquables que nous n’avons pas oubliés, parmi ceux des écrivains publiés rue Corneille : Jean-Paul Kauffmann, François Bizot, Frédéric H. Fajardie, Jean-Marc Parisis, Jean-Claude Pirotte.

Mais il ne faut pas polémiquer avec Denis Tillinac : il faut mettre une tune dans le bastringue et appuyer sur le bouton «anar de droite». À propos des déclarations du Pape sur le préservatif, par exemple. «ll a raison. Jamais je n’enfilerai ce truc-là. Je préfère encore me taper un rossignol.» Ou à propos des chercheurs en grève : «Je ne peux plus supporter ces petits connards du CNRS qui font des études sur la sexualité des papillons dans le Bas Congo avec notre pognon et qui ont l’arrogance de venir nous donner des leçons.» Voilà en effet ce qui s’appelle passer de l’étage des grands commis de l’État à la cuisine des Tontons Flingueurs.

Pourquoi est-il si difficile 
d’être de droite ?

En France, depuis la Libération, le ciel des idées est enténèbré par une vision de l’homme qu’entretient le monopole de la pensée de gauche dans les sphères pédagogiques, médiatiques, éditoriales et mondaines. Vous êtes bien plaçés pour en connaître les pesanteurs à l’université, où jusqu’à Mai 68 régnait un stalinisme de béton armé. Il fut relayé par un  marxo-freudisme à la sauce trotskiste, castriste ou maoïste jusqu’au recyclage par Mitterrand  du gaucho manichéen en un bobo cynique, hédoniste, nihiliste

Aujourd’hui la gauche s’affiche en démocrate rose frangée de vert mais le rouge continue d’affleurer ici ou là : dans les cryptes de son inconscient, il y a toujours un Marat, un Robespierre ou un Saint-Just pour envoyer un Malesherbes, un Condorcet, un Chénier, un Danton même à l’échafaud. Toujours un Lazare Carnot pour exterminer des rebelles : nous sommes tous des Vendéens potentiels. Le Hollande le plus tempéré par les jeux politiciens est toujours flanqué de commissaires politiques : Joly, Mélenchon, les trotskystes de service, les alter-mondialistes- et toujours s’embusque un délateur maquillé en journaliste pour traquer l’infidèle. Toujours resurgit dans l’ombre d’un chef anodin, mais avec son aval au moins implicite, cette inquisition médiévale qui voue l’insoumis aux enfers du « réac ».

Ce mot « réac » a été forgé par le cléricalisme de gauche pour néantiser quiconque refuse la clôture dans son Empire du Bien. Le réac, c’est vous, c’est moi. Nul n’est à l’abri de la diabolisation, et si « réac » ne suffit pas, on vous décrètera « facho ». Mieux vaudrait en rire si l’Histoire ne nous avait signalé les risques de miradors et de barbelés quand des idéologues s’avisent de socialiser l’homme dans toutes ses instances en décrétant son âme interdite de cité. En France, la gauche a des tentations liberticides récurrentes depuis la Convention, c’est sa tare originelle. En France et seulement en France, le mot socialisme, en dépit de ses lugubres connotations historiques- le national-socialisme, l’union des républiques soviétiques socialistes- et de ses avatars contemporains- le socialisme de la Corée du Nord, le socialisme de Cuba-ce mot dont Manuel Valls avait vainement souhaité la mise au rebut, ce mot a toujours des relents de totalitarisme. Il faut le savoir, il vaut mieux s’en méfier.

L’avantage du monopole de la gauche, c’est d’avoir engendré par réaction des générations de dissidents armés de leur courage et de leur ironie. Vous, entre autres, puisque le mot « droite » ne vous fait pas peur. En osant le revendiquer, vous vous inscrivez dans un sillage de frondeurs, de factieux et de malicieux – le sillage empanaché des Mousquetaires et de Cyrano, celui des «  hussards » à la Blondin mais aussi de Aron et de ses disciples qui du temps de la dictature sartrienne sur la rive gauche de la Seine ont eu le courage de défendre le monde libre contre les communistes, leurs fondés de pouvoir à l’université et leur domesticité innombrable dans la presse. De cette dictature longue et pesante, on ne sache pas que Hessel se soit jamais indigné. C’était pourtant sa génération . Vous êtes peu ou prou l’ « armée des ombres » de Kessel entre les mailles de la France « officielle », c’est votre honneur car en France le droitier n’est jamais du côté du manche.

En France il y a péril à être de droite, et rien de moins simple qu’une conscience qui se sent de ce bord. La gauche possède une dogmatique: l’homme nouveau selon la norme socialiste doit être cosmopolite, interchangeable et androgyne. L’indifférenciation est la finalité, le ratiboisage par le bas, le moyen. La gauche possède une armada de figures tutélaires, presque toujours des politiques, de Danton ou  Robespierre à Blum ou Thorez en passant par Guesde , Blanqui, Gambetta ou Jaurés. Elle possède son langage ( « les justes revendications des travailleurs »), sa liturgie (les manifs, les congrés) ses lieux sacrés( le mur des Fédérés). Rien de tel à droite, et tant mieux. Pas de cléricalisme, pas de credo alternatif à celui de la gauche. Nous sommes les incrédules de son approche sommaire et réductrice des réalités. Nos figures symboliques sont rarement des politiques . Nous préférons des aventuriers fastueux, des héros de légende ou des plumes enchantées: Roland à Roncevaux, Jeanne d’Arc à Orléans, Bayard à Marignan, d’Artagnan, Lupin , Mermoz, St Ex , la môme Piaf , Gabin, Tintin.  Mais aussi Chateaubriand ou Tocqueville. Citer ces deux écrivains, c’est illustrer la complexité de la galaxie droitière. Chacun de nous à ses propres références, ses nostalgies, ses allergies.

Chacun de nous a ses raisons intimes de refuser le credo de la gauche, tantôt métaphysiques, tantôt morales, tantôt esthétiques. Souvent les trois ensemble mais pas toujours, autour des mêmes thèmes ou sur le même tempo. Chacun de nous cultive à sa façon les vertus cardinales que la gauche méprise ou dédaigne: le sens de l’honneur, la fierté de l’héritage, le culte de l’intériorité. J’ajouterais volontiers la liberté de l’esprit, dont la gauche se targue indûment car elle la baillonne sans vergogne quand sa dogmatique est piégée. Eric Zemmour a payé cher en monnaie de discrédit pour le savoir, il a même été condamné en épilogue à cet absurde procés politique où j’ai cru devoir témoigner en sa faveur.

Aucun corpus doctrinal, ne nous aligne en rangs par deux au pas de l’oie. Nous refusons juste d’être socialisés selon une approche, celle des soi-disant Lumières, qui réduit l’humain aux acquets de fonctionalités, avec la complicité des soi-disant sciences humaines, cette imposture majeure des deux derniers siècles. Nos connivences s’expriment en postures d’ironie ou de défi, parfois lourdes de mélancolie, toujours avec le  sentiment d’être incompris, car nos consciences ne sont pas tirées au cordeau du rationalisme. Nous sommes sujets au doute, sensibles à la fluidité et aux ambivalences du réel- et chacun de nous sait qu’aucune droite répertoriée ne peut faire miroiter l’intégralité de ses aspirations. Cependant nous savons tous ce qui nous attend si nous ne résistons pas…

Eloge du Réac

L ‘autre jour, je croisais Régis Debray, qui est mon voisin de palier, devant les boîtes aux lettres de notre immeuble. Il prenait son courrier. Comme d’habitude, j’ai glissé les prospectus qui engorgeaient ma boîte aux lettres dans celles d’à-côté et j’ai laissé les lettres.



« Tu ne les prends pas? », m’a demandé Régis. « Non, lui ai-je répondu benoîtement, ce sont des factures, donc des emmerdements, ma femme s’en occupera ». Après avoir éclaté de rire, il a hoché la tête. De la morosité attristait son regard. « Tu as de la chance. Un réac peut dire ça, et le faire. Nous, on n’a même pas le droit de le penser ». Par « nous », il entendait les modernes, les branchés ; bref, les gens convenables. Moi, je suis catalogué réac depuis belle lurette. Donc, pas convenable. Qu’est-ce qu’un réac au juste ? Le contraire d’un branché et d’un moderne. L’hérétique de la théologie préchée implicitement par les bulletins paroissiaux que sont devenus la plupart des quotidiens et des hebdos français. Un réac est un dissident de l’ordre moral qui bouquine sans culpabilité au coin du feu tandis que son épouse apprête un fricot dans la cuisine. Après quoi, il déserte le logis conjugal pour aller voir un match avec des copains sans se soucier de la vaisselle. Si l’anatomie d’une minette lui paraît avenante, un réac en dresse le constat à haute voix. C’est du machisme et c’est mal vu, mais ça n’a pas d’importance, un réac est méjugé par définition, et s’en fiche. On le confond à tort avec un boeuf ou un droitier, parce qu’il ose dire comme Chevènement que l’ordre républicain est bafoué dans certaines banlieues et qu’il serait urgent d’y remédier. Ou bien il affirme, comme Régis Debray justement, que trente années de pédagogie soixante-huitarde ont fabriqué en série des semi- analphabètes privés de repères et de morale. Le même Régis Debray a aussi peu de goût que moi pour la plupart des « créations » contemporaines, mais il n’a pas le droit d’avouer le classicisme de ses goûts: un flic intérieur, commis par la langue de bois officielle, le surveille de près. Le seul fait d’avoir émis des réserves sur les offensives américaines contre l’Irak et la Serbie lui a valu la réprobation unanime du haut clergé de la pensée unique. En qualité de réac, je puis affirmer que les Américains, en ces deux occurrences, se sont fourvoyés, et nos autorités avec. Pire: je prétends qu’au Kosovo, sous le faux règne de la KFOR, ce sont surtout les Serbes qu’il faut plaindre. En écrivant cela, je crois voir les modernes bigots pincer le bec: le bon parti des bien- pensants, c’est l’UCK.

En vacances, un réac a le droit de glander, de draguer, de jouer au foot où de se faire des apéros à perte de temps. Un branché se croit tenu de donner dans le « culturel », il se tape une kyrielle de festivals, concerts, visites guidées, etc. Un réac intello est dispensé de colloques, de pétitions et de manifs. Le reste à l’avenant. Un réac jouit de tant de privilèges que j’ai de la compassion pour les spectateurs innombrables du puritanisme « politiquement correct ». Le plus précieux de ces privilèges, c’est tout simplement la liberté. Y compris celle de vivre ses ambivalences à coeur ouvert. Prolo ou bobo, le branché est corseté dans un uniforme mental; sa pensée, sa sensibilité sont formatées par les normes au demeurant variables de la modernité. Variables mais strictes. La fluidité sied au réac. Par exemple, je suis plutôt conservateur sur le registre de la culture, permissif en matière de moeurs (sauf pour la drogue) mais aussi hostile au capitalisme mondialisé que Bové et Laguiller réunis. Evidemment, toute insoumission a un prix. Un écrivain réac est mal barré s’il rêve d’avoir le Goncourt ou d’entrer à l’Académie. Grâce au ciel, il y a des rêves plus chatoyants dans la besace de mon imagination.


Denis TILLINAC, Ce qui reste des jours

Tout cela me semble loin  .  J’avais 30 ans , je trouvais la vie anodine et drôle  .  Mon inconsistance passait pour de la légèreté  .

J’ai eu des  » Maîtresses  »  .  C’est le mot en usage  .  Il me désagrèe  .  Pourquoi ne sommes-nous jamais les  » Maîtres  »  … ?

L’oeil enjôleur , la lippe charnue et de l’éloquence à hauteur des hanches :

       l’Ensemble était engageant  .

J’ai fait carrière en m’enracinant bêtement dans le provisoire  .

 .

Il marche par les chemins , le nez au vent , insoucieux et serein  .

Le temps efface les stigmates de l’inconduite ; tout juste perçoit-on , dans la prunelle des anciennes Amoureuses au long cours , une lueur de bienveillance que les vertueuses n’ont pas  .

Toujours ce temps haché , cette frénésie de ceux qui croient  » faire avancer les choses  »  .

Les barbares   ? …  Les cadres , sans foi ni loi , les marchands de bonheur , les hordes touristiques , les buveurs d’eau , les consommateurs de Psy et de carottes crues  .

Les riches sont bêtes quand ils voyagent  :  On leur refile des bungalows climatisés autour d’une piscine , ils se croient dans des cases au bord d’une mare à crocodiles  .


Qui sème le mépris récolte la violence

La Loi dite Taubira a soulevé dans pas mal de consciences , une houle que les sociologues auront du mal à cerner, les politiciens à berner. Elle révèle l’existence d’une France méconnue mais nombreuse, embarquée à son cœur défendant vers Le Meilleur des mondes d’Huxley, version « sociétale ». Ça l’épouvante, et il y a de quoi : c’est bel et bien un projet global, avec une utopie sous-jacente dont on perçoit la mise en œuvre, au jour le jour, pas toujours consciemment, mais avec un esprit de suite indéniable. Mariage entre homosexuels, procréation par truchement d’une tierce personne ou d’un assistant high-tech, droit de vote aux étrangers, tripotages sémantiques : l’air de rien, ces mesures maquillées en « avancées sociales » procèdent d’un crédo et convergent vers une finalité. Les noces du « progrès » et de l’« égalité », concélébrées par la postérité de Rousseau, de Robespierre, de Fourier et de Marcuse, doivent à terme éradiquer l’altérité des racines, des genres et des imaginaires.

Au prix d’une confusion grossière entre égalité et équivalence, toute hiérarchie des affects, des sentiments, des actes et des aspirations est tenue pour « réac », (patois en usage). 
Avec une dose variable de naïveté et de cynisme, la gauche « sociétale » conspire ni plus ni moins au tarissement des sources de la civilisation occidentale, depuis Œdipe et Moïse jusqu’à Yseult et Werther. Plus d’intériorité, plus d’éternel féminin : obscénité de la transparence et grisaille de l’androginat. Plus de « discrimination » entre un idéal et une pulsion, c’est « facho »(toujours ). Interdiction de se prévaloir d’une ascendance, d’un héritage, d’une affinité sélective, c’est de l’« élitisme bourgeois ». Apologie du cosmopolitisme, sacralisation de l’éphémère, récusation de la norme, survalorisation de la marge, culte de la dérision : tout se vaut, tout s’équivaut, Mozart et le rap,Vermeer et le tag, Proust et le graffiti. Le « socio-cul » ne discrimine pas, il ratiboise. Il fait du « care », du « festif », du « culturel » sympa ; il « anime » le « citoyen » depuis la garderie d’enfant jusqu’à la maison de retraite. Il ne sociabilise ni ne civilise : il « socialise », nuance. 
Cette vision du destin de l’individu dans la cité est cohérente. A défaut d’être ouvertement conceptualisée, elle est intériorisée depuis belle lurette par l’intello, le journaliste, le pédagogue, l’élu, le travailleur social, le communicant lambda. On leur a fait croire que l’hostilité au mariage homosexuel et ses suites fatales trahit l’arriération mentale de beaufs poujadisants et de cathos mal b… Leur crédulité les incite à stigmatiser, à humilier, à marginaliser, à démoraliser cette France implicite que la dogmatique gaucho-bobo indispose. Elle existe, c’est si l’on veut la France profonde. Elle encaisse. Faute de mieux, elle se complait dans l’ironie. Elle a le sentiment de camper dans une sorte d’exil intérieur, bien qu’elle soit probablement majoritaire dans le secret des consciences. Mais les sondages ne savent pas explorer les consciences, les questions qu’ils posent sont biseautées par la doxa et s’en tiennent à l’écume des engouements. 
Du coup on la croit marginale. Comme ses appuis sont dans le peuple et les classes moyennes, on la décrète « populiste » (encore le patois), avec le mépris du nanti pour les gens de peu. Et le même catéchisme qui expédie le « populiste » aux enfers le présume illico « xénophobe », « homophobe », « sexiste », et cætera. Jamais grenouilles de bénitier n’ont touillé leurs névroses dans un manichéisme aussi sommaire. Si un fond de catholicité transparait, on brandit la « laïcité » en sortant des greniers l’arsenal de l’anticléricalisme du père Combes, assez lâchement car c’est l’islam qui fait peur mais il faut le taire, minorité oblige. Pour la commodité de sa diabolisation, on voudrait que la rétive soit ultra, voire ennemie des « valeurs républicaines » (toujours le patois) et de l’ « humanisme », ce qui doit faire rigoler les mânes d’.Alberti, de Titien ou de Léonard : en bons « réacs », les vrais humanistes, ceux de la Renaissance, demandaient aux Anciens les bonnes recettes. Mais aucun abus de langage n’est de trop pour la néantiser.

Denis Tillinac, qu’est-ce qu’être français ?

En réalité la France du refus n’est nullement ultra ni vraiment politisée. Elle est juste consternée. Ses convictions relèvent du bon sens et sont dictées par l’instinct de survie : un homme n’est pas une femme, un peuple n’est pas un agrégat, une tradition n’est pas une crispation, une frontière n’est pas une camisole, une religion n’est pas une opinion, le plus n’est pas le mieux, le Même n’est pas l’Autre, un principe n’est pas une valeur. Elle estime qu’une civilisation repose sur des fondations stables, ainsi que sur une architecture spirituelle, morale et esthétique. Elle privilégie le sens de l’honneur, de l’élévation, de la probité, de l’intime, du remords, de l’aventure, de la gratuité, de l’harmonie – autant de vertus incompatibles avec l’égalitarisme stricto sensu. 
Ces vertus cardinales ne devraient offusquer que des fols ou des nihilistes. Elles auraient l’aval de Hugo, de Courbet, de Zola, de Ferry, de Péguy et même de Jaurès, pour citer quelques figures tutélaires de la gauche française de jadis. Or elles n’ont quasiment plus droit de cité. Voilà pourquoi, à l’aune de cette France invisible, mais ni insensible ni résignée, le projet « sociétal » s’apparente au cauchemar d’un suicide programmé. Elle ne veut pas devenir ce « chien crevé au fil de l’eau », image par quoi Bernanos définissait la soumission « moderne » aux délires « progressistes ». Délires prométhéens ou panthéistes, qui se rejoignent à l’enseigne d’un compassionnel verbeux dans une haine de la mémoire, celle de la France, celle de l’Occident. 
Comment interpréter autrement cette manie de la repentance qui prétend réduire nos ancêtres aux acquêts peu glorieux de l’esclavagisme, de l’exploitation coloniale ; de la collaboration avec l’ennemi ou de l’usage de la torture ? Comment expliquer cette haine sans merci d’un héritage fastueux, sinon par le rafistolage des mythes de Mai 68 ? On sait pourtant que les totalitaires de toutes obédiences ont préconisé le « degré zéro » et la « table rase », depuis Saint-Just jusqu’à Kim Il-sung en passant par Lénine, Staline et Hitler. On sait aussi ce que la génération soixante-huitarde aura légué à sa progéniture : des dettes à foison et un scepticisme nauséeux dont son « sociétal » aggravera les effets. Elle devrait raser les murs au lieu de dispenser des leçons de civisme : « jouir sans entraves » n’ est pas un must pédagogique pour tirer les âmes vers le haut. 
Privée de relais, accablée de mépris, harcelée par des Torquemada gorgés de fiel, la France du refus a quelque ressemblance avec l’armée des ombres de Kessel entre les mailles du pays officiel. Elle résiste. D’autres symptômes que la manif improvisée par l’intrépide Frigide Barjot en témoignent. Par exemple l’aura posthume qui dans une fraction de la jeunesse enlumine la mémoire de Philippe Muray. Ou bien la profusion de livres iconoclastes. Ou encore la myriade de cénacles et de revues fédérés par la hantise de survivre dans un univers orwellien, d’autres disent kafkaïen. L’univers de la « modernité », idole niaise dont la démystification s’impose de toute urgence. Elle est en cours chez les penseurs les plus lucides, donc les moins médiatisés.

Cette France discrètement, pudiquement insoumise, on la dénaturerait en la qualifiant de droitière. D’autant que l’appellation est fort mal contrôlée par l’opposition. Captive d’une idéologie qui a répudié les distinguos historiques (Bien Mal, Beau-Laid, Vrai-Faux, Juste-Inique) pour imposer la dictature soft du couple branché-ringard, la mouvance UMP est incapable de prendre en considération une révolte qu’elle serait encline à désapprouver si elle en comprenait le sens. Par nature, toute idée hors norme lui donne le tournis.. Au fond elle adhère à ce faux hégélianisme qui habille du mot « progrès » les pires aberrations des émules de Frankenstein. Elle a peur de ses ombres et ne croit qu’à la com, autant dire à l’esbroufe. Elle mise comme d’habitude sur les bévues des socialistes pour revenir au pouvoir et ressasse le réquisitoire rituel contre les abus de la fiscalité, les effets pervers de l’assistanat et la surabondance de fonctionnaires. 
Thématique soutenable, mais courte en bouche, comme on dit de certains vins, et qui conforte l’idée que décidément la justice reste l’apanage de la gauche. Ce qui n’est pas vrai ; il y a belle lurette que la gauche française, mixe de notables locaux et de bobos hédonistes, n’a plus de connivence avec les humbles. Soyons justes : fut un temps où elle a lutté pour de plus nobles causes que l’importation des « gender studies » made in USA. Elle a des racines profondes dans notre histoire, on ne peut pas les ignorer, on ne doit pas les mépriser. Les articles de son credo contemporain peuvent être combattus à ciel ouvert sans que l’on traite pour autant ses partisans en ennemis du genre humain. Le reproche qu’on peut leur faire dans le sillage d’Ellul, c’est d’identifier leur vision à un sens obligatoire de l’Histoire, avec une majuscule, en le confondant avec le cheminement de l’humain vers les fins dernières prophétisées par les religions du Livre. Or le scientisme de Monsieur Homais n’a pas plus à voir avec le point oméga de Teilhard que la charité franciscaine avec la distribution de subsides aux frais du contribuable. L’utopie égalitariste se pare indûment du message évangélique pour nous faire gober sa passion de l’indifférencié. 
Quoi qu’il en fût, quoi qu’il en soit,. la gauche exerce encore dans l’opinion un reste de magistère moral. À telle enseigne qu’à de rares exceptions près, les politiciens de droite lui mendient leur brevet de respectabilité (« républicaine » comme il se doit) avec une servilité tantôt pathétique, tantôt ridicule. Ils épousent ses présupposés de crainte d’être ringardisés par les bulletins paroissiaux du cléricalisme ambiant. Audiovisuel inclus. Humoristes inclus.

Ils s’insinuent dans l’air du temps en ployant l’échine. Comme si l’air du temps était en soi convenable. En Allemagne, durant les années trente, il incitait à la traque aux Juifs. Devait-on s’y soumettre ? En France, durant les années cinquante, il exigeait des esprits la soumission aux diktats du Stalinisme. La résistance d’Aron était -elle insane ? En Mai 68, il prônait le culte de Mao et de Castro. Était -ce honorable de hurler avec les loups camés au kif et badigeonnés de rouge et de noir ? À Londres au début de l’été 40, de Gaulle s’est dressé sans vergogne contre l’air du temps, comme Jeanne d’Arc sous Orléans au début du printemps 1429. Étaient-ils des « fachos » ? Des passéistes ? Des ringards ? Expurgera-t-on les manuels d’histoire pour escamoter leur légende ? El1e est héroïque, empanachée et « élitiste », ça ne colle pas avec ce qu’on lit dans la presse, ce qu’on écoute à la radio, ce qu’on voit sur les écrans. 
L’air du temps n’a aucune valeur. Il·se borne à avaliser le défilé des mode -ces putes capricieuses, vulgaires, infantiles et vénales dont les sondages sont les souteneurs attitrés.

L’air du temps méprise la France du refus. Les gens de l’UMP et ses adjuvants centristes auraient tort de pactiser avec ce mépris. S’ils prenaient acte de la pertinence de la révolte et s’ils osaient la relayer, une « droite » digne d’intérêt émergerait peut -être du néant intellectuel et ils auraient vocation à en incarner les exigences. Le débat démocratique y gagnerait sûrement en authenticité, ses acteurs des deux camps en crédibilité. 
S’ils s’obstinent à démagogiser au ras des pâquerettes, par lâcheté, aveuglement ou calcul, ils seront balayés. Cocu et content : l’espèce tend à se raréfier ; il y a mieux à faire les dimanches de scrutin que d’aller voter pour des fantoches qui se coucheront à la première admonestation de l’autre bord. Orphelines et meurtries, les consciences rebelles chercheront d’autres biais que les urnes pour exprimer leurs attachements et leurs répulsions. Elles auront bien raison, l’avenir se jouera sur le front des idées, pas dans le vase clos des combines politiciennes. Les vraies idées, celles qui au-delà des avatars de l’économie décryptent le système en profondeur, pour trouver une issue au marasme dans lequel s’enlise notre vieux pays. 
Ceux qui continueront de frayer dans le marigot se rétracteront comme les républicains du « tea-party » en Amérique. Il n’en sortira rien de probant. Les plus fragiles se fourvoieront dans les impasses de l’extrémisme. La gauche s’avisera alors, mais un peu tard, qu’elle n’aurait pas dû entretenir ce climat sourdement inquisitorial, aggravé de délations minables (affaire Millet, etc.), lugubrement évocateur des déliquescences de l’entre-deux-guerres. 
Ça peut mal finir, il y a des précédents : qui sème le mépris récolte la violence. Le plus sage serait que les porte-voix de la droite soient plus vertébrés, ceux de la gauche moins arrogants.

Serait-ce trop leur demander ?

Le Figaro – Samedi 16-dimanche 17 février 2013

Identité nationale : le vrai débat n’aura pas lieu ! par Denis Tillinac

Le débat sur l’identité nationale n’aura pas lieu. Les politiques, les journalistes, les intellos prennent des positions le plus souvent manichéennes sur le mode d’intégration de nos compatriotes arbo-musulmans ou africains. Faut-il tolérer la burqa ? Laisser pointer des minarets ? Régulariser les sans-papiers ? Subventionner les banlieues où çà chauffe ? On se gargarise de gros mots ( » laïcité, valeurs républicaines, citoyenneté « ), on mobilise grotesquement des parias de l’histoire (Pétain, Déat, Laval) et, au bout du compte, l’on finit par découvrir une évidence : les Français n’ont pas plus de sympathie pour l’islam que les autres Européens. Un vrai débat sur l’islam ne serait pas sans intérêt, mais il ne concerne l’identité nationale qu’à la marge. Or cette identité existe.
Pour la cerner, il faut en finir avec la polarisation sur les minorités visibles ou moins visibles, que ce soit pour les diaboliser ou les victimiser. Les Français dont les ancêtres ont établi leur pénates sur nos terroirs depuis belle lurette forment une énorme majorité. Même si ces ancêtres sont venus d’ailleurs, certains plus récemment que d’autres (Polonais, Italiens, Espagnols, Portugais, etc.). Or cette majorité, prolétaire ou bourgeoise, est exclue du débat, et le sent, et s’en exaspère sans pouvoir le dire. C’est elle, pourtant, qui pérennise l’identité française ; c’est elle, en conséquence, qui détient le secret de l’  » intégration « .
Car la vraie question n’est pas de savoir qui doit (ou peut) être intégré, mais à quoi. Réponse : à un mélange d’histoire-géo qui, au fil des siècles, a engendré une sociabilité, des tours d’esprit, une sensibilité, un type d’humour, une gastronomie, un patrimoine architectural, des héros populaires, une poétique, une spiritualité, des paysages intérieurs singuliers. Rien de moins. Dans le panthéon intime de la France, Jeanne d’Arc fraternise avec Gavroche, Roland à Roncevaux avec Bonaparte au pont d’Arcole, Mimi Pinson avec la duchesse de Guermantes, la gouaille du titi avec la pagnolade à l’aïoli, la gourmandise rabelaisienne avec la rigueur pascalienne, la môme Piaf avec Villon. Dans l’imaginaire des Français, on repère l’amour rustique du clocher et l’appel romantique de l’Orient, ainsi qu’une pente au bovarisme, une autre au panache de Cyrano, une autre à prendre benoîtement ses aises apéritives. Liste non exhautive.
Certes l’identité de la France n’est pas close ou figée. Ni monochrome, tant nos  » pays  » au sens braudélien du terme, ont de personnalité. Reste un fond de sauce, inaccessible sans doute à la sagacité des sociologues, amis que les Français ordinaires savourent au jour le jour, et qui vient de loin, et qui tient la route. L’identité de la France, c’est un ressac au long cours entre Paris et ses provinces, une trame inouïe d’ambivalences : épicurisme et goût de l’absolu, héroïsme gaullien et cassoulet radsoc, sens de l’honneur et de la resquille, passion pour l’égalité et les privilèges, vin bordelais du regret et vin bourguignon du plaisir, catholicisme de petit proprio et tentation césariste impénitente.
C’est aussi cette manie de lâcher des idéologues sur la rive gauche de la Seine pour des chamailleries conceptuelles dont on se fout éperdument, la sagesse populaire ayant pris acte de nos contradictions insolubles. Par exemple, ce chahut verbeux qui tourne en rond autour de minarets fantoches, alors que notre  » identité « , on la connaît par coeur, on la cultive, elle va de soi ou presque. Le désir, le sentiment, le bonheur d’être français sont accessibles à toute minorité. Avec le temps, bien sûr, et à condition que la majorité – silencieuse et pour cause – soit assurée de ne pas y laisser trop de plumes symboliques. Sinon elle se rétracte, et sa méfiance tourne à la franhe hostilité.
Partout dans le monde, les minorités sont d’autant mieux accueillies que les majorités ne se sentent pas … minorées. Grâce au ciel, l’identité de la France a autant de verdeur que de mémoire, il suffirait d’en rappeler la substance pour éclairer les lanternes sourdes de ce débat foireux. La France n’est pas une page blanche sur laquelle des utopistes en serre chaude écriraient à la hâte le mot  » citoyenneté « . Ni l’espace abstrait d’une appropriation ex nihilo. La France, on sait de quoi son identité retourne ; cessons de l’ignorer dans leurs pompes d’où ils viennent. Surtout ceux de fraîche date : plus que les enracinés, ils ont besoin de savoir de quoi ils héritent au juste.

extrait du n° 663 (du 2 au 8 janvier 2010) de l’hebdomadaire Marianne.

Monaco Hebdo : Que pensez-vous du système médiatique aujourd’hui ?


D.T. : Il y a des problèmes inhérents à l’avenir de la presse écrite. Je suis un écrivain, et un lecteur de journaux. Je constate une crise et un déclin de l’écrit, peut être liés à l’audiovisuel et à l’Internet. Pour la presse politique, pendant la campagne de Sarkozy, on a constaté à nouveau une prépondérance énorme de la presse de gauche, à l’exception notoire du groupe Figaro et de Valeurs actuelles (auquel j’appartiens). Pourquoi cette idéologie « soixante-huitarde », dont le peuple s’est éloigné, est-elle toujours aussi présente chez les journalistes toutes générations confondues ? Il y a 1 000 raisons, et c’est pour ça que j’ai souhaité centrer sur ce sujet cette année. La presse a une influence, mais est-ce qu’elle reflète le réel ou est-ce qu’elle le construit ?

M.H. : Votre idée sur ce point ?


D.T. : Je pense que le réel est forcément subjectif, donc elle le construit avec des présupposés. Et il n’est pas inopportun de mettre en lumière ces présupposés.

M.H. : Pensez-vous que l’on peut encore tout dire aujourd’hui ?
`

D.T. : Non, je ne pense pas. Je n’ai pas été longtemps journaliste stricto sensu, mais j’aurais été un mauvais journaliste dans la mesure où je n’aurais jamais publié un livre ou une information qui puisse nuire à mon pays. Je n’aurais jamais pu écrire quelque chose qui dégrade, salit ou pollue, esthétiquement ou moralement. Bref, quelque chose qui soit moche. Je déteste l’idéologie de la transparence de notre société. Combien tu touches ? Avec qui tu couches ? Où est-ce que tu vis ? C’est privé tout ça. Moi, je défends le secret de l’intime, parce que ce qui est menacé c’est l’intériorité, et l’intériorité, c’est ce qu’on a de plus précieux.

M.H. : Quelle est l’importance de la polémique dans les médias aujourd’hui selon vous ?
D.T. : En France, les polémiques sont souvent de bas étages parce que la politique génère des passions malsaines. A la différence de pays où l’on voit des gens de bords différents partager un barbecue un soir d’élections… En ce moment, on a une polémique avec Fillon et Copé. Rares sont les analystes qui se sont demandés s’il n’y a pas plusieurs droites. S’il est opportun d’avoir créé un seul parti pour en regrouper plusieurs, historiquement d’origines différentes. Or, c’est cela qui est intéressant dans le débat. Se demander si Fillon est mieux habillé que Copé, on s’en fout ! Par contre, quand Fillon dit que Copé droitise sa campagne, il se positionne plus au centre. Il y a donc deux familles au sein de l’UMP, et cela est révélé par le débat.

M.H. : Comment avez-vous perçu les polémiques liés à des personnes comme Eric Zemmour ou Robert Ménard par exemple ?


D.T. : Je les ai toujours défendus. Je ne partage pas les positions de Zemmour ou Ménard. Eric Zemmour est une sorte de gaulliste républicain et Ménard un type de gauche de grand cœur, qui a découvert que la gauche parisianiste n’était qu’un nid d’imposteurs. Ça l’a écoeuré, et il est allé chercher tout ce qui transgresse. Avec ses livres Vive Le Pen et Vive l’Algérie, il ne peut pas être plus provocateur ! Personnellement, je ne pense pas que l’Algérie aurait dû rester française, et Le Pen, j’ai beaucoup à lui reprocher, notamment qu’il est le plus fidèle allié des socialistes depuis 30 ans. Ce qui n’empêche pas que Zemmour et Ménard ont le droit d’aborder le problème de l’immigration. Il existe aujourd’hui une espèce de tabou malsain et dangereux. Zemmour, Renaud Camus, Elisabeth Lévy, ont été diabolisés pour avoir frôlé ce tabou.

M.H. : Vous considérez-vous vous-même comme un polémiste ?


D.T. : Ça peut m’arriver. Je n’aime pas quand le débat tourne « grande gueule », je n’évoque jamais la vie privée. Par contre, il peut m’arriver de forcer le trait dans les moments où je prends position. Je me considère comme un homme de lettres, et un homme de lettres peut prendre des positions politiques. Ce n’est pas pour ça qu’elles ont une grande importance dans mon œuvre. J’aime bien ferrailler, et quand on ferraille, il peut également nous arriver de dire des conneries (sourire). Ça m’arrive aussi…

Œuvres

En désespoir de causes

Le mystère Simenon

L’Ange du désordre

Elvis : Balade sudiste

Je nous revois…

Le Bonheur à Souillac

Le rêveur d’Amériques

Sur les pas de Chateaubriand, illustré par Philippe Lorin

Boulevard des Maréchaux

L’Irlandaise du Dakar

Chirac le Gaulois

Le Jeu et la Chandelle, 1994.

Dernier verre au Danton, 1996.

Don Juan, 1998.

Le Dieu de nos pères, défense du catholicisme, Bayard, 2004

Dictionnaire amoureux de la France (en collaboration avec Alain Bouldouyre), Plon, 2008.

Rue Corneille, Editions de La Table Ronde, 2009.

Femmes de guerre, texte in Inconnues corréziennes, résonances d’écrivains. Ouvrage collectif, éditions Libel, 2009.

Dictionnaire amoureux du catholicisme, Plon, 2011.

Considérations inactuelles, Plon, 2012.

La Nuit étoilée, Plon, 2013

Denis Tillinac et Ivan Rioufol 10/05/2012 par LE-CUM-NICE

Cette image de réactionnaire, vous l’avez cherchée. Elle vous dessert autant que vous vous en servez, non ?

Pas vraiment. Je n’étais pas très heureux quand je lisais dans les journaux, dans Le Monde par exemple, « proche du pouvoir » ou des expressions de ce type. Je n’étais proche de rien du tout ! C’est vrai, au début, j’étais beaucoup à l’Élysée. Ce qui m’a posé un cas de conscience : je voyais bien que j’étais intime du Président, plus que ne l’était la moitié des ministres. Je me suis donc demandé si ce n’était pas mon devoir de citoyen d’en faire quelque chose. Et puis non. L’idée, à la Bernard Henry-Lévy, d’être le conseiller du Prince ne me disait trop rien : le prince est seul et décide seul, point final. Le reste n’est qu’argument pour justifier sa propre fascination. J’ai vu le pouvoir de trop près. C’est un peu comme la spirale de Lacan qui tourne autour du vide. Sur l’ensemble des sujets, on est emprisonné dans une pensée : les choses qu’on a le droit d’exprimer et celles qu’on n’a à peine le droit de penser. Il ne fallait jamais rien dire sur les femmes car, bien sûr, on se doit d’être féministe, ni sur les homosexuels de peur de passer pour homophobe… En fait, c’est toujours avec les intellectuels de gauche que j’ai le plus de plaisir à discuter. Ils ont plus de culture et c’est beaucoup plus drôle. Quand je suis devenu ami avec Régis Debray, c’était pour lui une véritable transgression de développer une relation avec un réactionnaire ! Comme s’il avait touché une fille sous la table..

SUITE..

http://www.revue-medias.com/denis-tillinac-je-suis-le-gardien,669.html

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English: French writer and jjournalist Denis Tillinac Français : L’écrivain, éditeur et journaliste français Denis Tillinac au Salon du livre Amerigo Vespucci, lors du 20e Festival international de géographie à Saint-Dié-des-Vosges (Photo credit: Wikipedia)
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