Mutin, Jacques Perret l’est des pieds à l’âme. A la pointe de toutes les révoltes sacrées. Sa vie ? Une Odyssée moderne qui prouve qu’au siècle des robots un esprit libre peut encore déguster l’aventure. Tour à tour soldat au Maroc, dessinateur en Suède, courtier en librairie, graveur, professeur, journaliste, pêcheur de bonites au Honduras, porteur de bananes au Nicaragua, bûcheron au Canada, travailleur saisonnier au Manitoba, explorateur, chercheur d’or en Guyane, géographe, ethnologue, paysan en Touraine, viticulteur, hôtelier et enfin romancier, nouvelliste, chroniqueur et polémiste à Paris. Plutôt qu’un ton, il avait trouvé une voix. Plus qu’un style, une malice.
Qui aujourd’hui le poursuit? Une poignée de nostalgiques, et quand bien même, cela suffirait à maintenir vivant cet écrivain si français disparu en 1992. Mais ne vous méprenez pas : ces lecteurs-là ne regrettent pas tant une époque qu’une certaine manière de s’en sortir avec les mots, de nouer la langue commune à la langue classique pour la faire sourire. Folliculaire de la réaction, écrivain du transcourant, styliste hors-pair qui buvait avec soin afin d’éviter tout faux-pli dans le jugement, il eut la faiblesse de ne jamais dire non à l’aventure et au voyage. Il tenait la littérature pour un art d’agrément qui aurait pris tournure de gagne-pain. Luxuriance du style et vocabulaire richissime. Ajoutez-y périphrases et métaphores de qualité, un humour finement ciselé, et vous avez là une cuvée qui vous fait claquer la langue française au palais.
L’oeuvre de Perret conjugue au présent la première des vérités temporelles ; l’incompatibilité entre l’augmentation constante du niveau de vie et le maintien de la qualité de la vie ; la certitude que dans les sociétés libérales la loi du marché, frénésie contraignante, exaspère la sauvagerie du capitalisme et, dans les sociétés encasernées, l’étouffoir d’une bureaucratie omniprésente et parodique ajoute le ridicule à la cruauté bestiale d’un Etat policier. Bref, qu’on ne gouverne pas les hommes par la seule efficacité économique et la promesse d’un progrès social infini ou par une pensée messianique organisée selon la méthode de la terreur jacobine et expérimentée comme un nihilisme en transe.
« Disons à la rigueur que le royaliste est un anarchiste éclairé comme le catholique est un homme libre. Il aspire à l’exercice d’une liberté chérie sous la protection de quelques vérités admises pour absolues »
Jacques Perret est né le 8 septembre 1901 à Trappes dans les Yvelines. Second fils de Marc Perret, rédacteur principal à la préfecture de la Seine et de Thérèse Roque, son enfance est marquée par la Première guerre mondiale au cours de laquelle son frère Louis est tué, le 25 septembre 1916 à Bouchavesnes dans la Somme.
Après une scolarité à Montaigne puis Louis-le-Grand, il fera des études de français et de philosophie. Jacques Perret a tiré de là un plan de réforme de l’enseignement. Il souhaite des établissements purement gratuits, dans tous les sens du terme, où on ne préparerait aucun examen. Les élèves seraient capables de traduire Thucydide à livre ouvert et incapable de faire une multiplication.
De 1921 à 1923, il fera son service militaire au Maroc dans le 29ème Régiment des Tirailleurs Algériens avec le grade de caporal et bataillera contre les Chleuhs.
Représentant chez Belin puis brièvement professeur de français en classe de troisième il fera ses débuts journalistiques au Rappel et au Journal. Plusieurs voyages le meneront au Danemark, en Suède, au Mexique, Honduras, Canada, en Turquie et au Liban. Au Danemark il donne des leçons d’italien. En Norvège il joue le bûcheron. La hache a élargi ses épaules, aminci son bas ventre en triangle isocèle, donné à ses bras des possibilités de giration. Elle lui a fait faire son école de satirique.
En réalité Jacques Perret accumula dans ses viscères, dans ses circonvolutions cérébrales des trésors de paresse qui devaient l’aider puissamment à se constituer une sagesse. Pour se reposer des ses voyages il tâta du journalisme. Au journal « Le Journal », il fut tourneur de commissariat. L’ancienne sinécure des chiens écrasés : les petits crimes, les menus crêpages de chignons, tous ces forfaits miniatures qu’on peut apprendre, depuis une table de café, en téléphonant à l’inspecteur de police du coin.
En 1931 il entreprend une expédition en Guyane, pour le compte du musée de l’Homme pour l’aspect ethnographique, et des industriels Monteux et Richard pour l’aspect prospection d’or. Il revient sans or, mais riche de renseignements sur les indiens Emerillons. Une exposition sera consacrée à cette expédition en 1932.
Le 31 octobre 1931, il se marie avec Alice Thiétry, professeur de français à l’Alliance Française. En 1932, naissance de sa fille Jacqueline. En 1934, un bref retour à la terre à Chissay-en-Touraine, dans le Loir-et-Cher, se solde par un échec agricole mais permet la parution de son premier roman Roucou édité chez Gallimard.
Le roucou est la teinture écarlate dont les Indiens s’oignent le corps ; son parfum lourd et tenace invite au hamac et incite à la sieste. Pour le Blanc civilisé friand de rêverie, c’est un stimulant magnifique : tout le mystère indien s’exhale dans une bouffée de roucou.
De retour à Paris en 1936 il emménage rue de la Clef et poursuit sa vie de journaliste et de romancier. En 1937 parait Ernest le Rebelle (adapté incarné au cinéma par Fernandel dans le film Ernest le rebelle réalisé par Christian-Jaque en 1938.).
« Il y a un roman qui s’appelle Ernest le Rebelle. Il vaut ce qu’il vaut. Comme c’est moi qui l’ai écrit, je suis assez tenté de croire qu’il vaut mieux que rien, mais je serai discret. En revanche, il y a un film qui porte le même nom, et comme je n’y suis pour rien, je ne vous cacherai pas mon opinion, qui est celle des honnêtes gens : c’est, indiscutablement, un franc navet… »
Mobilisé en 1939, il s’engage dans les corps francs au 334ème RI. Fait prisonnier en 1940 près de Longwy, il s’évade après trois tentatives en 1942 et entre dans le maquis au sein de l’ORA (Organisation de Résistance de l’Armée) jusqu’à la Libération.
Il choisit la mitraillette car il ne croit qu’à la guerre à portée d’injures, et que les porte-parole sont rarement les porte-fusils. Maquisard non par idéologie mais par pure et instinctive réaction d’honneur : comme il est des circonstances où il serait déshonorant de ne pas s’engager, il n’a même pas réfléchi tant cela lui paraissait naturel.
Il continue d’écrire dans divers journaux et y pourfend régulièrement les Droits de l’homme, la démocratie, le parlementarisme tout en affirmant son attachement au régime monarchique. Jacques Perret était de ces rares écrivains qui s’était fait une idée de son pays et s’y était tenu contre tous les vents et nombre de marées ; ses nombreux articles des années 50 et 60 dans Aspects de la France, Arts, Combat et Itinéraires en témoignent. Il ne cessait pas d’aimer sa patrie quand elle cessait d’être aimable.
En 1947, sort son best seller, le Caporal Epinglé qui raconte sa captivité. Les périodes de gémissements ne font pas ici une bien longue élégie. Le barbelé est cruel, vexatoire, mais ce n’est qu’une entrave entre toutes celles qui menacent l’homme libre, avec l’avantage d’un aspect loyal. Parmi tant de captivités sordidement camouflées et d’évasions fallacieuses, l’expérience des chaînes authentiques et des évasions qui payent redonne quand même du prix à certains mots.


Jacques Perret est déchu, en mai 1963, de ses droits civiques, et rayé du contrôle de la médaille militaire pour la part active qu’il a prise dans la défense de l’Algérie Française et pour différents articles contre le général de Gaulle et quelques offenses à la Légion d’honneur.
En 1960 il prend une part active à la défense de l’Algérie Française. Différents articles contre le général de Gaulle et quelques offenses à la Légion d’Honneur lui vaudront d’être déchu de ses droits civiques et radié des contrôles de la Médaille Militaire en mai 1963.On voit bien par là que la punition gaullienne ne laissa pas à Perret un mauvais pli à l’estomac. En bon marin, Perret a toujours hissé sa voile contre le vent de l’histoire. Cela ne pardonne pas dans notre démocratie moderne, et au panthéon de la reconnaissance républicaine, il est plutôt tricard. Tour à tour gaulois, mérovingien, chouan et mousquetaire, il était terriblement français, un indécrottable français, mais d’une France qui n’existe plus guère. S’étant toujours déclaré pour le trône et l’autel, à l’argument que les temps ont changé il répondait imperturbable : « Qu’ils aient changé ou non c’est leur affaire, mais un principe n’est pas une girouette. »
C’est sans doute ce qui donne à ses écrits le charme suranné des vérités séculaires aujourd’hui étouffées sous les apophtegmes progressistes ! Ce n’est pas qu’il était contre le progrès mais il se méfiait : « Bien sûr, unité, universalité, c’est un vieux rêve, une noble hantise ; et sur le plan temporel elle sert de caution à toutes les entreprises d’hégémonies, à toutes les tyrannies autocratiques et doctrinaires ».
La mer qu’il chérit depuis l’enfance, lui inspirera plusieurs de ses ouvrages dont le Vent dans les voiles (1948), Rôle de plaisance (1957) puis la Compagnie des eaux (1969). Des recueils de nouvelles paraissent : Objets perdus en 1949, la Bête Mahousse en 1951, l’Oiseau rare en 1952 et Histoires sous le vent en 1953.
En 1975 parait son premier livre de souvenirs, Grands chevaux et dadas , suivi l’année suivante de Raisons de famille , puis d’un Marché aux puces en 1980, Belle lurette en 1982 et le Jardin des Plantes en 1984. Il s’éteint à Paris le 10 décembre 1992.
« Le cinéma, le magazine et la radio ont répandu une espèce de facilité pathétique, et le sens du drame en est sottement vulgarisé. C’est peut-être un phénomène de démocratisation qui fait les héros à meilleur compte et les tempêtes promues sans frais. »
« Mieux valait nous en tenir à l’explication traditionnelle: en mer, le jour éloigne les objets et la nuit les rapproche. Comme dit le matelot, on ne peut donc se fier ni au jour ni à la nuit et la côte n’est jamais à sa place. »
Rôle de plaisance, Jacques Perret, éd. Gallimard,
Tourisme
« Quand on parle d’échanges touristiques, cela veut dire que le touriste propage sur lui-même un certain contingent d’idées fausses et qu’il remporte sur autrui une quantité égale d’impressions vicieuses. Assez de balivernes sur les voyages qui forment la jeunesse ; c’est une formule moyenâgeuse qui donnait de bons résultats avec des locomotions moyenâgeuses. Le voyage pour tous est une institution burlesque. Sur cent voyageurs il y a quatre-vingt-dix sédentaires et il n’est jamais bon que les sédentaires prennent la route. Ce n’est pas que je méprise les sédentaires, beaucoup s’en faut, je les admire, je les chéris, je les conjure de rester fidèles à leur mission, solides au poste, car ils sont la joie, l’alibi et la raison des voyageurs. Pas la peine de voyager s’il n’y a plus l’espoir de secouer sa poussière ou de se chauffer le derrière chez les gentils sédentaires que la Providence a placés le long des routes pour faire le pain du voyageur et lui servir à boire en écoutant ses histoires. Et voilà qu’aujourd’hui les sédentaires infidèles se payent des voyages au Cap, des ouiquennes à Marrakech, des brevets de voyageur enfin, et qu’ils se les payent au sens le plus vénal du mot, comme on se payait jadis des quartiers de noblesse ou naguère des certificats de résistance ; c’est de la simonie. Dix mille kilomètres, pas une chemise mouillée, pas une ampoule au pied. Ce disant je n’exhale pas le dépit du voyageur écoeuré par la vulgarisation des voyages, car je ne suis après tout qu’un voyageur dérisoire, suspect, anxieux de l’étape et il se pourrait qu’en traînant ici et là, naguère, bon gré mal gré, je n’aie promu sur les routes qu’un sédentaire honteux, pour lui faire les pieds. Hélas ! la peau des pieds est longue à durcir, prompte à mollir, mais j’ai tout de même quelques souvenirs de pieds qui me cuisent assez pour envisager d’écrire aujourd’hui, les pieds à l’aise, une somme apologétique à la gloire des panards fumants et des nougats meurtris. »
Chroniques, Arcadia Editions, Paris, 2005
Le caporal épinglé (1947)
Bande à part (1951)
1936
1937
1944
1947
L’oiseau rare (L’oiseau rare, Le tourangeau de Winnipeg, Pour une barbe, Une histoire en or), Editions Arc-en-ciel
1948
1949
1951
La bête Mahousse (La bête Mahousse, Un homme perdu, Les insulaires, Trafic de chevaux, Enfantillages), Editions Gallimard
1953
1954
1955
1957
1961
1964
Le vilain temps, Editions Le Fuseau
1966
1969
1975
1976
1980
1981
1982
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