On a tous en nous quelque chose de Jean Gabin. L’acteur-monument (1904-1976), près de cent films au compteur, a fait le pont entre deux France, de la Belle Équipe de Julien Duvivier aux Grandes Familles de Denys de La Patellière. Des congés payés de 1936 aux barricades de Mai 68, il a enjambé trois Républiques, connu l’avènement du parlant, un exil américain, une traversée du désert.. Gabin c’est la gouaille des faubourgs, les amantes en série, les grimaces du parrain, la rectitude de l’incorruptible au service de punchlines inoubliables.
Il attira 84 millions de spectateurs dans les salles. Cabochard au grand cœur ou héros tragique, porte-parole des humbles ou meneur d’hommes, Jean Gabin travailla avec les meilleurs cinéastes et scénaristes de son époque, qui le façonnèrent en jouant de son regard et de ses «coups de gueule». Adepte, dès ses débuts, d’un jeu intériorisé, minimaliste, Gabin tranche avec l’expressionnisme des comédiens issus des planches. Il joue, toujours avec cette présence incroyablement authentique et dense, les patriarches bougons, à l’image de son statut. La sûreté de son jeu, c’est un tremblement intérieur dominé avec peine. Personne ne sait mieux que lui dépister le mot excessif, le geste qui dépasse l’intention. Le trait dominant de ce bourru, souvent brutal, jamais grossier, c’est la pudeur.
« Je suis un vieil anarchiste… de droite, forcément ! Avec le pognon que je gagne, personne ne me croirait si je disais… de gauche ! » Glorieuse incarnation de la gouaille anar, ce fort-en-gueule a constamment vécu comme il l’entendait. Son cynisme et son phrasé mis au service d’une idéologie libre et sincère ont forgé l’image mythique d’un authentique pourfendeur de conneries.
De son vrai nom Jean Alexis Moncorgé, Jean Gabin naît dans une famille d’artistes d’opérette. Son père est tenancier de café et chante sous le nom de scène « Joseph Gabin ». Loin de l’agitation des nuits parisiennes, l’enfant est élevé par sa soeur aînée à la campagne dans la commune de Mériel. Il en gardera une profonde affection pour la nature et n’aura de cesse toute sa vie de se tenir éloigné des villes.
En 1915, ses parents s’installent à Paris. Délaissant l’école, Jean devient garçon de bureau à la Compagnie Parisienne d’Electricité. Mais sa découverte du monde du travail est interrompue par l’idée saugrenue qu’a son père de l’inscrire, au moment du décès d’Hélene (1918), au lycée Janson-de-Sailly. La situation ne lui convenant pas, le jeune élève s’enfuit et se réfugie auprès de sa soeur Madeleine, demeurant toujours à Mériel auprès de son époux, l’ancien boxeur Poësy.
Entre 1920 et 1922, Jean exerce divers petits métiers: cimentier à la Gare de la Chapelle, manoeuvre dans une fonderie, magasinier aux magasins d’automobiles de Drancy.
Elève dissipé, il commence à travailler à l’âge de quinze ans et enchaîne les petits métiers. Mais son père le force à rencontrer l’administrateur des Folies-Bergère où il est engagé comme figurant en 1922. « Tiens, voici mon fiston. Il aimerait faire du théâtre. Peux-tu l’aider ? Si tu arrives à en tirer quelque chose, tu auras bien du mérite. Moi, j’y renonce… ». Pris à l’improviste, Jean réagit mal, accepta de devenir figurant dans une revue dont les répétitions allaient commencer.
En 1925, il épouse l’actrice Gaby Basset, puis devient un véritable artiste de music-hall grâce à Mistinguett qui l’impose au Moulin-Rouge et aux Bouffes-Parisiens.
Star du cinéma parlant
Après quelques sketchs muets pour le grand écran, Jean Gabin est happé par le septième art en 1930. C’est l’avénement du parlant et les comédiens de théâtre sont alors très recherchés. Mythe français d’avant-guerre, Jean Gabin symbolise l’histoire de toute une jeunesse. Les idéaux qu’il incarne basculent avec la guerre et il doit changer de registre. Formé à l’école de l’opérette, Gabin joue d’abord les amoureux naïfs.
Mais l’héritage d’une vie rude lui façonne peu à peu une dégaine de voyou au bon coeur éprouvé par la vie. Sans véritable passion au départ, Jean Gabin se laisse porter par son succès grandissant et enchaîne les petits rôles (Méphisto, 1930; Coeur de lilas, 1932), avant d’être repéré par des réalisateurs comme Maurice Tourneur (Tout ça ne vaut pas l’amour, 1931) ou Marc Allégret (Zouzou, 1934). Mais c’est en 1936 qu’il est révélé au grand public grâce à Julien Duvivier qui lui offre les personnages principaux de La Belle équipe et Pépé le Moko.
Doté d’un charisme exceptionnel et d’une solide carrure, Jean Gabin n’est pas une gravure de mode mais séduit les spectatrices en incarnant à merveille les héros tragiques et romantiques d’origine populaire. Il devient une véritable star et tourne dans les années trente les meilleurs films de sa carrière. Ses collaborations avec Jean Renoir et Marcel Carné sont particulièrement fructueuses et lui permettent d’aligner des longs métrages comme:
La Grande illusion (1937),
Quai des brumes (1938),
La Bête humaine (1938)
et Le Jour se lève (1939)
La guerre interrompt brutalement son ascension spectaculaire et son idylle avec Michelle Morgan. Il décide de s’exiler aux Etats-Unis où il a une liaison avec Marlene Dietrich mais peine à s’intéger à Hollywood. Il y tourne deux films qui ne passeront pas à la postérité.
Guerre et paix
En 1943, Jean Gabin s’engage dans les Forces françaises libres et participe à la victoire des alliés. Mais l’après-guerre est rude pour la star : il essuie plusieurs échecs succesifs dont celui de Martin Roumagnac (1946) avec Marlène Dietrich. Plus vraiment jeune premier et pas encore homme d’âge mûr, le comédien peine à retrouver sa place au sein du cinéma français comme de nombreux autres artistes de retour d’exil. Il se marie avec le mannequin Christiane Founier en 1949 et décide d’investir son argent dans l’élevage en 1952.
Il renoue cependant avec le succès grâce à Touchez pas au grisbi (1954) de Jacques Becker
French Cancan de Jean Renoir (1955).
Il se fait ensuite une spécialité d’un cinéma un peu conventionnel qui semble déjà passé de mode mais qui lui offre des rôles sur-mesure sous la direction de réalisateurs tels que Gilles Grangier avec qui il tourne une douzaine de films Archimède le clochard, 1959 ;
Les vieux de la vieille 1960Le Cave se rebiffe, 1961) ou encore Jean Delannoy (Le Baron de l’écluse, 1960),
Henri Decoin (Razzia sur la Chnouf, 1955)
et Jean-Paul Le Chanois (Monsieur, 1964).
Parmi la quantité de longs métrages où il figure alors, quelques oeuvres se détachent comme Voici le temps des assassins de Julien Duvivier (1956),
ainsi que La Traversée de Paris (1956)
et En cas de malheur (1958) de Claude Autant-Lara, lui même anar.
Une fin de carrière sous le signe du polar
Tour à tour paysan, ouvrier, homme du monde ou gangster, Jean Gabin règne sur le cinéma français comme un monstre sacré. Les cheveux blancs et la silouhette alourdie par l’âge, Jean Gabin gagne encore en présence et interprète à la perfection les mentors de jeunes premiers comme Alain Delon :Mélodie en sous-sol, 1963 ;
Le Clan des Siciliens, 1969
Le président 1961 ou Jean-Paul Belmondo (Un Singe en hiver, 1962) dans des films d’Henri Verneuil.
Il se laisse rarement tenter par la comédie (Le Tatoué, 1968)
et enchaîne les polars efficaces de Georges Lautner (Le Pacha, 1968), Denys de la Pattelière (Du rififi à Paname, )et Pierre Granier-Deferre (La Horse, 1970).
Nous ne sommes pas surpris d’apprendre que ses rôles d’Auguste Maroilleur dans «La horse» (1969) ou de Gaston dans «L’affaire Dominici» (1973), figurent désormais parmi ses préférés. Pourtant, entre-temps, il à tourné l’un de ses plus beaux films, tout au moins depuis «En cas de malheur», faisant face à Simone Signoret dans «Le chat» (1970), de Pierre Granier-Deferre.
Co-produit par la Gafer, l’oeuvre ne trouva pas le succès qu’elle méritait, laissant l’acteur dans une certaine amertume. Aussi, la suite et la fin furent plus conventionnelles et reconnues de ce grand public qui, en fin de compte, dirige la carrière des vedettes.
En 1974, Gabin, pour la première fois depuis le début des années trente, enregistre un microsillon, interprétant notamment une chanson de Jean-Loup Dabadie, «Maintenant je sais», grâce à laquelle il obtient une bonne place au hit-parade, le top cinquante de l’époque.
En 1976, alors qu’il tourne son dernier film, «L’année sainte», il accepte d’être maître de cérémonie à la présentation des César. A cette occasion, il retrouve Michèle Morgan, dont il souligne une dernière fois l’éternelle beauté du regard: « Tu as toujours de beaux yeux, tu sais … ». La réponse, sans surprise, nous rajeunît d’une quarantaine d’années …
Le lundi 15 novembre de cette année-là, Jean Gabin s’éteint à l’hôpital américain de Neuilly. Il venait de décider la vente de La Pichonnière. Comme celles d’un marin, qu’il fut à deux reprises, ses cendres furent dispersées au large de Brest, emportant avec elles quelques une des plus fortes personnalités du cinéma français.
En 1981, en hommage à ce grand comédien Le Monde du cinéma crée un prix Jean Gabin.
C’est en 2002 que sa fille réalisatrice, Florence Moncorgé, publie un livre sur lui.
WIKI BIO:
Jean Gabin nait à Paris le 17 mai 1904, 23 boulevard Rochechouart (9e) , sous le nom de Jean-Alexis-Gabin Moncorgé. Fils de Ferdinand Joseph Moncorgé (1868-1933), tenancier de café et comédien d’opérette sous le nom de scène de Joseph Gabin, et d’Hélène Petit (1865-1918), chanteuse de café-concert, il a six frères et sœurs aînés dont Ferdinand Henri (1888-1939), Madeleine (1890-1970) épouse de Jean Poésy et Reine (1893-1952).
Il passe son enfance et son adolescence à la campagne pour laquelle il gardera toute sa vie un profond attachement. Loin de la vie parisienne de spectacle de ses parents, il est élevé par sa sœur aînée Madeleine, dans le petit bourg campagnard de Mériel dans le Val-d’Oise (alors Seine-et-Oise) , à l’actuel 63 Grande rue, dans une maison à l’étroite façade dont le pignon arrière où se trouve la fenêtre de sa chambre offre une vue imprenable sur la gare.3..
En 1914, à l’âge de 10 ans, un coup appuyé lors d’un combat de boxe lui écrase le nez. Le 18 septembre 1918, alors qu’il a 14 ans, sa mère meurt. Il est mauvais élève et délaisse le lycée Janson-de-Sailly à Paris, où il est inscrit et enchaîne les petits métiers, garçon de bureau à la compagnie parisienne d’électricité, cimentier à la gare de la Chapelle, manœuvre dans une fonderie, magasinier aux magasins d’automobiles de Drancy, vendeur de journaux. À 17 ans il veut, comme son grand-père maternel, devenir conducteur de locomotive à vapeur dont il peut voir les évolutions depuis sa chambre. Bourru, il osait se plaindre de ce qui lui déplaisait mais son œil bleu « magique » participait avec ses amis à la joie de vivre.
Carrière au music-hall
En 1922, à 18 ans, Gabin est forcé par son père d’entrer dans le monde du spectacle aux Folies-Bergère d’abord comme figurant, le directeur, Fréjol, étant un de ses amis à qui il aurait dit : « Tiens, voici mon fiston. Il aimerait faire du théâtre. Peux-tu l’aider ? Si tu arrives à en tirer quelque chose, tu auras bien du mérite. Moi, j’y renonce… » Il est placé sous la bienveillance du comique troupier Bach.
De 1924 à 1925 Jean Gabin effectue son service militaire dans la marine nationale à Cherbourg, et pendant une permission du début de l’année 1925, il épouse une admiratrice, la future actrice Camille Basset, dite Gaby, avec qui il n’aura pas d’enfant.
Buste de Jean Gabin, à Mériel,
sur la place du musée qui lui est consacré
En 1926, âgé de 22 ans, il devient un véritable artiste de music-hall et chanteur d’opérette. Il fait monter sur scène La Goulue auprès de Mistinguett, et il imite Maurice Chevalier. Il entame un tour de chant avec succès pendant deux ans dans toute la France et en Amérique du Sud. En chantant Julie c’est Julie et La Java de Doudoune de Jose Padilla en 1928, il devient partenaire de Mistinguett, qui vient de rompre avec Maurice Chevalier, au Moulin-Rouge et aux Bouffes-Parisiens dont le directeur est le célèbre auteur de l’époque Albert Willemetz.
À partir de 1929, il joue les jeunes premiers dans des opérettes comme Flossie ou Les Aventures du Roi Pausole, toutes deux sur des paroles d’Albert Willemetz. Il vit une amourette avec Jacqueline Francell, sa partenaire de Flossie, et il divorce de Gaby.
Carrière au cinéma
Années 1930 : débuts et consécration
En 1928, il fait ses débuts au cinéma dans deux courts-métrages avec le comique Raymond Dandy, Ohé! les valises et On demande un dompteur4.
Ce n’est que deux ans après l’arrivée du cinéma parlant en Europe que Jean Gabin, après avoir refusé de tourner dans Les Chemins du paradis5, fait ses véritables débuts cinématographiques en tournant en 1930 Chacun sa chance, un des premiers films parlant du cinéma français, dans lequel il joue au côté de son ex-épouse Gaby Basset et le chanteur Jean Sablon.
Par la suite, il enchaîne les tournages : étant tour à tour policier dans Méphisto, cambrioleur dans Paris Béguin, vendeur de TSF dans Tout ça ne vaut pas l’amour, mécanicien dans Gloria, soldat récalcitrant dans Les Gaietés de l’escadron, capitaine de péniche dans La Belle Marinière, que Gabin considère comme son premier grand rôle à l’écran5 et ingénieur dans Le Tunnel et Adieu les beaux jours.
Le 20 novembre 1933, Gabin épouse à la mairie du 16e Jeanne Mauchain, meneuse de revue et danseuse nue du Casino de Paris, connue sous le nom de Doriane Mauchain. Son père meurt trois jours avant son mariage.
En 1934, il tourne pour la première fois sous la direction de Julien Duvivier dans Maria Chapdelaine et Golgotha, dans lequel il prête ses traits à Ponce Pilate.
À partir de 1935, il devient une star du cinéma grâce à son « charisme exceptionnel » et à Julien Duvivier qui lui offre les personnages principaux de La Bandera avec Annabella, qui est son premier succès6, La Belle Équipe avec Charles Vanel, dans lequel il chante la chanson Quand on s’promène au bord de l’eau, et Pépé le Moko. Il incarne des héros tragiques et romantiques d’origine populaire. Puis il enchaîne film sur film au sommet du box-office français tout au long de sa longue carrière, quatre-vingt-quinze au total.
Jean Renoir l’impose dans Les Bas-Fonds avec Louis Jouvet puis, en 1937, dans le film de guerre La Grande Illusion avec Pierre Fresnay, Marcel Dalio et Erich von Stroheim, qui obtient un énorme succès public et critique, devenant au fil des années un classique du cinéma français.
La même année, il tourne Gueule d’amour, de Jean Grémillon, où il retrouve Mireille Balin, sa partenaire de Pépé le Moko et le méconnu Le Messager, de Raymond Rouleau.
En 1938, il joue le rôle d’un conducteur de locomotive dans La Bête humaine, un film de Jean Renoir, puis joue un déserteur dans Le Quai des brumes de Marcel Carné avec Michel Simon et la jeune Michèle Morgan, à qui il murmure le célèbre « T’as d’beaux yeux tu sais », laquelle répond : « Embrassez-moi ».
En 1939, il tourne à nouveau sous la direction de Marcel Carné dans Le Jour se lève, drame dans lequel il partage la vedette avec Jules Berry, Arletty et Bernard Blier.
Le 3 septembre 1939, il est mobilisé dans la marine nationale à Cherbourg. C’est encore la drôle de guerre et il obtient une permission exceptionnelle pour terminer le film Remorques, avec Michèle Morgan. Ils ont une brève idylle.
Années 1940 : avec les Forces Françaises Libres
Le 2 février 1941, refusant de tourner pour les Allemands pendant l’occupation, il s’expatrie à Hollywood aux États-Unis où il va retrouver les Français Jean Renoir, Julien Duvivier, Charles Boyer, Jean-Pierre Aumont…
Là-bas, il tourne deux films, La Péniche de l’amour avec Ida Lupino, et L’Imposteur, de Julien Duvivier, long-métrage de propagande gaulliste saluant aussi la bénéfique entrée en guerre des États-Unis. Ce film est produit par le service de propagande américain. Au générique seulement deux français : Julien Duvivier et Jean Gabin.
Durant cette période, il fréquente Ginger Rogers brièvement, puis Marlène Dietrich pendant l’été 1941 jusqu’en février 1947. Le 18 janvier 1943, il divorce de sa deuxième épouse Jeanne Mauchain.
Déjà très célèbre, il pourrait tenter une carrière d’acteur aux États-Unis, mais ce serait compter sans son ardent patriotisme. Il s’engage en avril 1943 dans les Forces navales françaises libres7 du général de Gaulle pour libérer son pays. Embarqué comme canonnier chef de pièce sur le pétrolier militaire Elorn, il traverse l’Atlantique en convoi à destination de Casablanca, attaqué au large par les sous-marins et par les avions allemands aux approches de la Méditerranée. Puis sous les ordres de l’enseigne de vaisseau et futur vice-amiral André Gélinet, le second maître Jean Moncorgé sert comme chef du char Souffleur II du 2e escadron du régiment blindé de fusiliers-marins qui appartient à la célèbre 2e division blindée du général Leclerc.
Au printemps 1945, il participe à la libération de la poche de Royan puis à la campagne d’Allemagne qui le conduira au Nid d’aigle d’Hitler à Berchtesgaden. À la fin de la guerre, il est décoré de la Médaille militaire et de la Croix de guerre. En juillet 1945, âgé de 41 ans, le « plus vieux chef de char de la France Libre » est démobilisé et revient au monde du spectacle avec des cheveux blancs8. Toute sa vie, il restera très attaché à la marine nationale et proche de celui qui fut son chef, le vice-amiral Gélinet et sa famille.
De retour en France, il reprend sa carrière d’acteur en 1946 en incarnant le rôle-titre de Martin Roumagnac, au côté de Marlene Dietrich, après avoir refusé de jouer Les Portes de la nuit, de Marcel Carné. Le film, éreinté par la critique, obtient pourtant à l’époque un succès commercial avec deux millions d’entrées9.
Cependant, ce succès n’est pas réitéré l’année suivante avec le film policier Miroir10, dans lequel il est un financier et gangster à ses heures. De plus, il a du mal à trouver un rôle à sa mesure.
En 1949, il se marie avec Christiane Fournier (décédée en 2002), dite Dominique, mannequin chez le couturier Lanvin, qui a déjà un fils Jacki et avec qui il a trois enfants : Florence Moncorgé-Gabin (1949), Valérie (1952) et Mathias (1956).
La même année, il tient le rôle principal du long-métrage Au-delà des grilles, qui obtient un succès honorable en salles11 et est nommé à l’Oscar du meilleur film étranger et triomphe au théâtre avec la pièce La Soif, d’Henri Bernstein, aux côtés de Madeleine Robinson et Claude Dauphin.
Années 1950-1960 : le retour du succès
En 1950, il retrouve Marcel Carné pour le long-métrage La Marie du port, adaptation du roman de Georges Simenon, qui avec 2,6 millions d’entrées12, permet de confirmer le succès de Gabin après son triomphe théâtral avec La Soif.
En 1951, il est le narrateur de De sac et de corde, une pièce musicale de Léo Ferré et Madeleine Rabereau écrite pour la radio, qu’il interprète tandis que Léo Ferré dirige l’orchestre et les chœurs de la radio nationale et sa prestation dans La nuit est mon royaume, pour lequel il incarne un mécanicien de locomotive aveugle, lui permet de rencontrer l’éloge de la critique et un triomphe public avec 2,5 millions d’entrées13, mais aussi de remporter la Coupe Volpi pour la meilleure interprétation masculine au Festival de Venise.
Son film suivant, La Vérité sur Bébé Donge, dans lequel il est un industriel coureur de jupons, passe inaperçu lors de sa sortie en salles, mais va être considéré au fil des ans comme une œuvre marquante.
Il réalise en 1952 un de ses rêves d’enfant en investissant, jusqu’à ses derniers jours, toute sa fortune dans le domaine de La Pichonnière, situé sur la commune de Bonnefoi, rattachée au canton de Moulins-la-Marche, dans l’Orne, en Normandie, sur lequel il fait construire La Moncorgerie. Il se lance dans l’élevage de près de trois cents bovins et d’une écurie d’une quinzaine de chevaux de course pour assouvir sa passion pour l’élevage de chevaux.
La même année, il retrouve Michèle Morgan dans La Minute de vérité, de Jean Delannoy, qui triomphe en salles avec plus de 3 millions d’entrées14.
Il renoue véritablement avec le succès public grâce à Touchez pas au grisbi, de Jacques Becker, en 1954, qui enregistre 4 millions d’entrées en France15. Avec ce film, il retrouve un rôle à sa mesure en changeant son image : l’homme d’expérience, autoritaire et qui impose le respect. C’est durant ce tournage qu’il rencontre celui qui va devenir un de ses amis, Lino Ventura.
Son succès se confirme avec L’Air de Paris, de Marcel Carné et French Cancan, de Jean Renoir en 1955. C’est la rencontre avec Michel Audiard, qui deviendra son ami et sera, avec ses dialogues, pour beaucoup dans le succès de ses films à venir, à commencer par Gas-oil de Gilles Grangier. À cette époque, il entretient une liaison adultère avec la comédienne Dora Doll.

Jean Gabin (à gauche) et Jacques Prévert dans le film documentaire Mon frère Jacques (1961) par Pierre Prévert
Par la suite, il enchaîne films sur films : il est le maréchal Lannes dans la prestigieuse distribution du Napoléon de Sacha Guitry, flic infiltré dans Razzia sur la chnouf, juge pour enfants dans Chiens perdus sans collier, routier dans Des gens sans importance, restaurateur dans Voici le temps des assassins, artiste peintre transportant avec Bourvil de la viande pour le marché noir dans le classique La Traversée de Paris, dont il partage une scène devenue culte avec Louis de Funès, alors méconnu du grand public et médecin dans Le Cas du docteur Laurent.
En 1958, il prête ses traits au commissaire Jules Maigret dans Maigret tend un piège, rôle qu’il reprendra à deux reprises et connaît le plus grand succès public de sa carrière avec Les Misérables, devenant le Jean Valjean du film aux côtés de Bourvil et de Bernard Blier.
Sa carrière est sur sa lancée, confirmée avec notamment En cas de malheur, avec Brigitte Bardot, Les Grandes Familles, avec Pierre Brasseur, Archimède le clochard (dont il a eu l’idée du film16).
En 1960, il reçoit les insignes d’officier de la Légion d’honneur sur le plateau où il tourne Les Vieux de la vieille de Gilles Grangier.
Tout en tournant avec les vedettes du moment, il continue dans les années 1960 sa série d’innombrables succès tels que le drame politique Le Président, la comédie policière Le Cave se rebiffe, la comédie dramatique Un singe en hiver, dans lequel il partage la vedette avec Jean-Paul Belmondo.
Dans la nuit du 27 au 28 juillet 1962, sept cents agriculteurs encerclent son domaine familial normand de La Pichonnière pour protester contre la centralisation des terres, en exigeant la location de certaines fermes à de jeunes éleveurs en difficulté. Ils se servent d’un conflit ouvert avec le célèbre acteur pour médiatiser les problèmes du monde agricole. Cette situation bouleversa profondément et blessa à vie l’intéressé, qui se sentit rejeté par la communauté paysanne normande dont il avait tant souhaité faire partie.
Durant cette même période, il connaît son premier revers avec Le Gentleman d’Epsom (1962), dans lequel il joue au côté de Louis de Funès, qui ne rencontre qu’un score inférieur17, échec vite effacé par le triomphe de Mélodie en sous-sol l’année suivante, avec Alain Delon18.
Il crée en 1963 avec Fernandel la société de production Gafer pour son film L’Âge ingrat qu’il interprète avec ce dernier.
La fin des années 1960 est marquée par Le Tonnerre de Dieu, Le Pacha, Le Tatoué, avec Louis de Funès et Le Clan des Siciliens, avec Alain Delon et Lino Ventura, qui confirme le statut de l’acteur, qui a atteint les soixante ans.
Années 1970 : Fin de carrière
Dans les années 1970, sa carrière marque une baisse de régime marquée par moins de succès que dans les décennies précédentes, bien qu’ayant tourné sept films durant la décennie.
L’acteur rencontre le succès public avec La Horse et Deux hommes dans la ville (dernière confrontation avec Alain Delon) et obtient l’Ours d’argent au Festival de Berlin pour son interprétation dans Le Chat, en 1971.
En 1974, près de quarante ans après Quand on s’promène au bord de l’eau, Gabin enregistre la chanson Maintenant, je sais, titre écrit par Jean-Loup Dabadie.
Le 3 avril 1976, il préside la première cérémonie des César. Deux semaines plus tard, il est à l’affiche de L’Année sainte, de Jean Girault. Ce seront ses dernières apparitions en public et sur grand écran.
Décès
Le 15 novembre 1976, alors qu’il vient juste de décider la vente de son domaine normand de La Pichonnière, il meurt à l’âge de 72 ans à l’Hôpital américain de Neuilly-sur-Seine. Il avait déjà eu un problème de santé en 1973 lors du tournage de Deux hommes dans la ville de José Giovanni. Selon les dernières volontés du défunt, ses cendres sont dispersées en mer. C’est à Brest, le 19 novembre 1976, qu’en présence de son épouse, d’acteurs et personnalités dont Alain Delon, se déroule une cérémonie simple et solennelle à bord de l’aviso Détroyat. L’urne funéraire est ouverte depuis la plage arrière de l’aviso19 en mer d’Iroise, à 20 nautiques de Brest, au sud de la chaussée des Pierres-Noires.
Hommages
- En 1981, à l’initiative de Louis de Funès20, le « monde du cinéma » lui rend hommage en créant le prix Jean-Gabin, récompense décernée tous les ans aux meilleurs espoirs masculins du cinéma français.
- En 1987, un César d’honneur lui est remis à titre posthume.
- En 1992, Mériel, la commune de son enfance, a ouvert un musée qui lui est consacré. Jean Marais a sculpté un buste de l’acteur qui se trouve devant le musée.
- En 2008, une place Jean-Gabin a été inaugurée dans le 18e arrondissement de Paris.
- En 2011, une place Jean-Gabin a été inaugurée dans la ville de Porrentruy.
Décorations
Récompenses
- Coupe Volpi d’interprétation masculine à la Mostra de Venise 1951 pour La nuit est mon royaume de Georges Lacombe
- Coupe Volpi d’interprétation masculine à la Mostra de Venise 1954 pour L’Air de Paris de Marcel Carné et Touchez pas au grisbi de Jacques Becker
- Ours d’argent du meilleur acteur à la Berlinale 1959 pour Archimède le clochard de Gilles Grangier
- Ours d’argent du meilleur acteur à la Berlinale 1971 pour Le Chat de Pierre Granier-Deferre
- César d’honneur 1987
REPLIQUES CULTES
Dans Quai des brumes, il murmure » T’as d’beaux yeux tu sais!… » à Michèle Morgan.
Dans Le Pacha, il prononce cette fameuse phrase de Michel Audiard : » Quand on parle pognon, à partir d’un certain chiffre tout le monde écoute « .
Dans Le Gentleman d’Epsom, il adresse à Jacques Marin cette extraordinaire tirade toujours de Michel Audiard : » Nous n’avons pas appris le cheval dans les mêmes écoles, pendant que j’étais à Saumur vous étiez à Vaugirard… Alors brisons là voulez vous, Monsieur, chacun dans sa sphère, et je vous prierai de ne plus m’adresser la parole, même de loin « .
Dans Un singe en hiver de Henri Verneuil, il a cette célèbre longue tirade de Michel Audiard pendant une cuite d’anthologie : » Le Yang Tsé Kiang n’est pas un fleuve, c’est une avenue, une avenue d’cinq mille kilomètres qui dégringole du Tibet pour finir dans la Mer Jaune, avec des jonques et puis des sampans d’chaque côté. Pis au milieu y a des, des tourbillons d’îles flottantes, avec des orchidées hautes comme des arbres. Le Yang Tsé Kiang, camarade, c’est des millions de mètres cubes d’or et d’fleurs qui descendent vers Nankin. Et avec, tout l’long, des villes-pontons où on peut tout acheter. De l’alcool de riz, d’la religion, et pis des garces, d’l’opium. Ch’peux vous affirmer, tenancière, que le fusilier marin a été longtemps l’élément décoratif des maisons d’thé. Dans c’temps-là, on savait rire. Elle s’était mise sur la paille, pour un maquereau roux et rose, c’était un juif, il sentait l’ail, il l’avait, venant de Formose, tirée d’un bordel de Shanghai. «
Dans Le Cave se rebiffe , dialogues de Michel Audiard : à la question de Bernard Blier qui lui demande : » Ça laisserait net combien à chacun ? » Il répond : » 20 ans de placard, le bénéfice ça se divise, la réclusion ça s’additionne ».