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José Giovanni

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Dans la tourmente qui suit l’évasion il faut pouvoir trouver le deuxième souffle. Encore faut-il savoir choisir le bon. Est-ce l’idée qu’essaye de nous transmettre José Giovanni, ancien détenu de la prison de la Santé, habitué des quartiers de haute sécurité et familier du couloir de la mort ? En 1948, il a 25 ans lorsqu’il est arrêté et condamné à la peine capitale pour avoir participé à un braquage sanglant. Gracié par le président Vincent Auriol, il restera onze ans en détention. De ces années, il tire un récit, Le Trou, adapté en 1960 sur les salles obscures par Jacques Becker. Le cinéma et le roman noir vont dès lors occuper les heures et les jours de José Giovanni.  Le voici scénariste et dialoguiste de Classe tous risques, de Claude Sautet (1960), des Grandes Gueules (d’après son roman Le Haut-Fer) et du Deuxième Souffle de Jean-Pierre Melville…

L’auteur aussi autodidacte qu’atypique évoque dans ses créations (vingt romans, trente scénarios, quinze films), toutes plus acides et lugubres ; la condition d’un homme fuyant la justice au prix de nombreux crimes et assassinats qui jalonnent le reste de ses jours. Un polar à la française renaissait alors, fait d’amitié virile, de vie quotidienne des malfrats, de dialogues précis.Il va faire la belle vie du cinéma populaire français, écrivant à la commande des scripts pour les vedettes machos, ceux qui deviendront ses «Grandes Gueules», Ventura, Bourvil, Belmondo, Delon, Constantin.

D’abord inspiré par sa propre expérience de la prison et les parcours aventureux de caïds de la pègre des années quarante, il élargit ensuite ses horizons vers les grands espaces et les thèmes westerniens, en gardant le même intérêt pour la fouille minutieuse des forces et des faiblesses de la nature humaine face à l’adversité. Le tout en distillant de ces sentiments qui marquent sans laisser de traces; amour, amitié, liberté…

D’origine corse, José Giovanni naît à Paris en 1923 où il fréquentera le Lycée Janson-de-Sailly. Pendant l’Occupation et à la Libération, il fréquente le « milieu » de Pigalle, en particulier les gangsters collaborateurs, dont Abel Danos, un des bourreaux de la Gestapo française de la rue Lauriston, et participe à une affaire de chantages perpétrés sous uniforme allemand jusqu’en 1944, puis sous uniforme de l’armée de Libération, organisée par son oncle maternel, Paul Santos, avec l’aide de son frère aîné, Paul Damiani, membre de la Milice gestapiste, de Jacques Ménassole, garde du corps de Jean Hérold-Paquis de Radio-Paris, et de Georges Accad.

Le 18 mai 1945, ils enlèvent à Suresnes Haïm Cohen, patron d’une entreprise de liqueurs, qui fait du marché noir. Cohen leur remet un chèque de 105 000 francs avant d’être abattu par Jacques Ménassole. Son corps est jeté dans la Seine. Le 31 mai suivant, les frères Jules et Roger Peugeot, industriels à Maisons-Alfort, sont à leur tour enlevés, rackettés et abattus, et les corps enterrés dans les bois de Fausse-Repose. Au cours de l’opération Joseph s’est accidentellement tiré une balle dans la jambe. Immobilisé, il est arrêté chez lui. Le chef de la bande, Paul Santos, s’enfuit en Espagne. Paul Damiani est arrêté, s’évade, et est abattu à Nice le 11 juillet 1946 dans un règlement de comptes par d’anciens résistants. Ménassole se suicide dans le métro parisien le 11 juin 1947 alors qu’on va l’arrêter.

Joseph est condamné à mort le 10 juillet 1948 par la Cour d’assises de Paris pour complicité d’assassinat avec Georges Accad. Jacqueline Beausergent, maîtresse d’Accad, et indicatrice du « coup » avec les Peugeot, est condamnée à dix ans de travaux forcés. Le Parisien Libéré du samedi 10 juillet 1948 titre : « La pègre des bars élyséens devant les Assises : Accad et Damiani appliquaient les méthodes de la Gestapo pour rançonner « leurs clients ».

Joseph (José Giovanni) échappe de peu à la guillotine. Il est gracié par le président Vincent Auriol, ainsi qu’Accad, et sa peine est commuée en vingt ans de travaux forcés. Il sort de prison en décembre 1956. C’est là-bas, dans le couloir de la mort, qu’il s’orientera vers l’écriture avec un récit relatant son évasion manquée de la prison de la Santé : « Le Trou » paraîtra chez Gallimard en 1957.

S’évader… Et ensuite ? Giovanni connaît son sujet car il peut ajouter à son palmarès une tentative d’évasion ratée en 1947 de la prison de la Santé dont il relate les faits dix ans plus tard dans son premier roman, Le Trou. Ces quelques lignes issus de ses mémoires témoignent de l’angoisse de l’ex-prisonnier au sortir de sa geôle. « Il y a onze ans que les portes d’une prison, d’une cellule, me sectionnèrent de la liberté. J’avais 22 ans. Sous ce porche, aujourd’hui, après onze années de détention, la liberté me guette…Si j’en crois la rumeur qui a précédé ma sortie, les tueurs payés par l’homme qui flingua mon frère aîné attendent sur le bitume. Le Folklore des frères corses va-t-il jouer contre moi ? Ce parfum de vendetta qui ferait craindre au tueur de l’aîné la vengeance du cadet…Avec juste raison si je m’étais évadé. »

L’oeuvre de Jose Giovanni compte une vingtaine de romans, une quinzaine de scénarios pour le grand écran et une vingtaine de films réalisés. Le début de sa carrière de romancier est riche de son expérience dans le monde du crime et il se met à écrire sur les conseils de son avocat qui, par chance, est en contact avec l’un des fondateurs de la Série Noire chez Gallimard. Cette partie de l’oeuvre de José Giovanni est probablement la plus intéressante puisqu’il produit, entre 1958 et 1960, trois chefs d’œuvres du roman noir hautement réaliste. Trois livres qui constituent un témoignage unique sur le milieu, ses codes, sa hiérarchie, et qui fournissent une analyse approfondie de la situation d’aliénation dans laquelle se trouve un criminel évadé. Ces trois romans ont tous été très vite adaptés au cinéma respectivement par Jacques Becker (le Trou), Jean-Pierre Melville (Le deuxième souffle) et Claude Sautet (Classe tous risques).

Le Trou, décrit clairement la tentative d’évasion de la prison de la Santé par son auteur. Giovanni raconte sa propre histoire et l’échec de cette tentative avec un nom d’emprunt.

Le deuxième souffle, quoi que moins autobiographique, dépeint la situation de Gustave Minda, caïd à la réputation solide, condamné à perpétuité et qui s’évade de la centrale de Castre pour tenter un dernier casse à Marseille avant de fuir à l’étranger.

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Enfin Classe tout risque  reprend le thème de la cavale meurtrière, inspiré par les histoires d’un gangster italien, voisin de Giovanni dans le couloir de la mort et qui, bien que n’étant pas condamné à mort mais à perpétuité, ne pouvait, de part sa réputation, séjourner dans aucun autre quartier de la prison… Probablement le plus noir des trois, ce romain relate la descente aux enfers d’un gros truand poursuivi depuis bien longtemps, contraint à l’exil en Italie, puis forcé au retour en France, ses deux fils de sept et quatre ans à la main.

Giovanni exorcise ses démons en écrivant ces trois romans qui dépeignent parfaitement la situation d’enfermement et de déchéance dans laquelle se trouve un condamné qui en dernier recours tente l’évasion pour accéder à la liberté. La torpeur, le trop-plein d’interrogations qui restent sans réponses et la solitude jusqu’à l’isolement total sont des dénominateurs communs au quotidien de ces gangsters. L’addiction au monde du crime se justifie donc comme étant un moyen et non pas une fin. Un moyen avant tout de quitter cette vie et d’en construire une autre loin d’ici et des dangers du moment. A l’intérieur ils sont cloîtrés dans une cellule. A l’extérieur ils sont enfermés dans ce monde parallèle du banditisme.

Cette logique est une forme d’aliénation des personnages de ces trois romans qui les pousse à produire une suite d’actes désespérés entraînant des événements tragiques auxquels même l’amour et l’amitié les plus sincères ne peuvent rien changer. Une fois sorti, l’évadé se retrouve coincé dans l’étau que constitue d’un côté la bonne société (représentée par la police et les juges) et de l’autre côté le monde de la pègre. Celui-ci se resserre peu à peu sur les personnages en cavale au cours du roman comme un piège implacable. Qu’ils se fassent attraper par les uns ou par les autres n’y change rien du reste, puisqu’ ils risquent bien entendu la mort dans tous les cas de figure. N’oublions pas le sort réservé aux évadés de prisons au début des années soixante en France. Dans Le deuxième souffle, le commissaire Blot ajoute à propos de Gustave Minda, gangster en fuite : « A Ville d’Avray, Gu s’est servit d’un Colt et ensuite il ne l’a pas jeté… Ca n’est plus un tueur normal, c’est un homme perdu et il le sait ».

Giovanni s’est en quelque sorte soigné du crime en écrivant, ce qui lui valut la carrière qu’on lui connaît. Il évacue probablement grâce à ces trois romans le parcours qu’il aurait pu suivre s’il s’était évadé de la Santé de 1947. Celui-ci expliquera à son avocat, Stephen Hecquet, meilleur ami du hussard Nimier, qu’il refuse de replonger en renonçant à tenter de venger la mort de son frère. Il fait appel pour cela à un gangster de grande renommée ; la réputation du criminel convoqué par Giovanni pour passer le message faisant foi. Lors d’un entretien avec son avocat à sa sortie de prison, Giovanni dévoile dans ses mémoires quelque chose de fort intéressant sur les règles du milieu : « Revoyez vous des truands ? Me demande-t-il. Dans le ton une ombre d’inquiétude. Je lui avoue revoir Jo Attia, une vedette du gangstérisme, lequel m’avait rendu le service d’arbitrer l’éventuel conflit entre le tueur de mon frère et moi. Dans le milieu, l’exercice consiste à faire le juge de paix, à se porter garant de mon refus de vengeance et à repousser l’idée d’un contrat, du côté adverse. En cas de non respect l’arbitre se retrouvera entre deux feux. » C’est à partir de là que débute une nouvelle vie pour Giovanni qu’une grâce présidentielle permit d’escamoter à la Guillotine à la fin des années 40.

« Aujourd’hui, sous le porche de la maisons centrale de Melun ma mémoire a remisé mon Beretta 9 mm au magasin de l’oubli, sur le rayon des actions imbéciles. »

Philippe Berté.

On lui doit également, entre autres, les excellents films suivants:

Le clan des siciliens: Trio irréaliste Delon-Ventura-Gabin le tout derrière la caméra de Verneuil sur un roman de Giovanni

Grand classique du cinèma français alliant savamment scènes spectaculaires, psychologie, sentiments et suspense! Jean Gabin en parrain sicilien, Alain Delon en gangster ambitieux, Lino Ventura en inspecteur désorienté. Réalisé en 1969, « Le clan des siciliens » n’a pas pris une ride.*

Deux hommes dans la ville: dernier grand succès commercial de Gabin, dans son mythique duo avec Delon:

Après avoir purgé une peine de 10 ans, Gino tente de reprendre une vie normale avec l’aide de Germain, un éducateur. Dans un stupide accident de voiture, il perd sa femme. Germain lui trouve alors une place dans une imprimerie, où il rencontre Lucie, une jeune anglaise. Par hasard, il retrouve Marcel, un ancien truand, et dès lors, l’inspecteur Goitreau qui l’avait mis sous les verrous 12 ans auparavant, n’a de cesse de le traquer, persuadé que Gino n’a pu changer de mentalité. Goitreau enquête auprès de Lucie qu’il menace. Gino, qui a assisté à la scène, étrangle l’inspecteur, ce qui le mènera à la peine capitale.

La scoumoune: Avec Belmondo et Claudia Cardinale:

Marseille, 1934. Le truand Saratov est victime d’une machination montée par le caid Villanova. Il est arrêté avec un cadavre dans sa voiture. Giorgia, sa soeur, demande à Roberto, dit la « Scoumoune » de prouver son innocence. Roberto élimine Villanova et devient chef du milieu marseillais. Saratov est condamné à 20 ans de prison, et Roberto le rejoint après une bagarre. Après la guerre, tous deux acceptent les travaux de déminage pour être graciés. Revenus à Paris, Roberto redevient le chef du milieu. Puis il décide de se mettre au vert avec Giorgia. Mais Xavier et sa soeur sont attaqués par des truands qui le tuent et blessent Giorgia. Roberto jure de la venger, et disparaît…

Les aventuriers: duo Delon Ventura:

Roland et Manu, respectivement pilote de bolides et aviateur-acrobate, partagent le même goût de l’aventure et du danger. Les deux amis font la connaissance de Laetitia, sculpteur sur métaux. Ayant subi chacun dans leur spécialité un échec cuisant, l’histoire d’un trésor englouti au large du Congo se présente comme une véritable aubaine pour les trois comparses qui se jettent à corps perdu dans cette aventure palpitante. Mais ils ne sont pas les seuls à convoiter le fameux trésor et leurs adversaires se montreront impitoyables…

Les grandes gueules:

Après avoir tenté de faire fortune au Canada, Hector Valentin revient dans ses Vosges natales et décide de reprendre la scierie que lui a légué son père. Seuls Laurent et Mick, récemment libérés de prison, acceptent de travailler avec Hector pour concurrencer Therraz, son puissant voisin qui veut garder le monopole dans la vallée. Ces derniers veulent en fait se venger d’un ancien associé et poussent Hector à engager des prisonniers en liberté conditionnelle. Hector accepte et embauche une dizaine de ces hommes, provoquant l’hostilité du voisinnage. Insultes, accidents, provocations s’abattent sur la scierie d’Hector. Le jour de la fête du village, une bagarre dégénère, Mick est tué. Désespéré, Hector met le feu à sa scierie. Laurent le sauvera et les deux hommes repartiront vers un nouveau destin.

José Giovanni
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http://www.rts.ch/archives/tv/culture/voix-au-chapitre/3803784-jose-giovanni.html

Œuvres

Romancier

Publications aux éditions Gallimard
Publications aux éditions Jean-Claude Lattès
  • 1982 : Les Loups entre eux
  • 1984 : Un Vengeur est passé
  • 1987 : Tu boufferas ta cocarde
Publications aux éditions Robert Laffont
Publications aux éditions du Rocher
  • 2001 : Les Gosses d’abord
Publications aux éditions Fayard
  • 2002 : Mes grandes gueules
  • 2003 : Comme un vol de vautours
  • 2004 : Le Pardon du grand Nord

    Français : José Giovanni, écrivain et cinéaste...
    Français : José Giovanni, écrivain et cinéaste français. (Photo credit: Wikipedia)

Réalisateur, scénariste, dialoguiste

[Ré] : réalisateur, [Sc] : scénariste, [Di] : dialoguiste, [OS] : auteur du roman à l’origine du scénario

revue culturelle littéraire les lettres françaises

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http://alexandre.clement.over-blog.com/article-jose-giovanni-rattrape-par-son-passe-120134866.html

 José Giovanni est un auteur des plus importants dans la Série noire et plus généralement dans le film et la littérature noirs. Si son œuvre littéraire et cinématographique est inégale, une partie de celle-ci est de excellente, que ce soit ses premiers ouvrages publiés chez Gallimard ou les quelques films que j’ai pu critiquer sur ce blog. Mais sa vie est aussi un roman noir et une tragédie. Il se trouve que par ailleurs j’ai assez bien connu José Giovanni – encore qu’on puisse se demander si on ne connaît jamais bien quelqu’un.

L’excellente revue Temps noir, vient de publier son numéro 16 dans lequel de longs développements sont consacrés à José Giovanni. Frank Lhomeau qui explore les arcanes de la Série noire et qui en refait l’histoire, notamment en s’intéressant aux auteurs français, avance un certain nombre de faits. José Giovanni aurait été membre du PPF, et pire encore il se serait livré à des actions criminelles sous son couvert. Il ajoute également que les actions qu’il a revendiquées, comme le passage de Juifs en Suisse, ou des actions anti-allemandes du côté de Nantes, seraient seulement des inventions.

Il est vrai qu’avant ces révélations de Frank Lhomeau, plusieurs indices laissaient entendre que le passé de José Giovanni au moment de l’Occupation était plutôt trouble. En 1993, un journaliste suisse avait rappelé les condamnations de José Giovanni.

Quels sont ces faits ? Le premier est sans doute que José Giovanni a été soutenu dans ses débuts littéraires par Stephen Hecquet, qui avait ouvertement choisi la Collaboration, qui était aussi son avocat et un ami de Roger Nimier. Au passage on peut se demander quel a été le rôle justement des gens comme Stephen Hecquet et Roger Nimier dans le recyclage des anciens collabos du côté de la Série noire.

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Ensuite, il y a évidemment le magnifique ouvrage de José Giovanni, Classe tous risques. Cet ouvrage n’aurait aucune signification politique particulière si le personnage principal ne se nommait Abel Davos – à peine démarqué du véritable Abel Danos qui fut un collaborateur assidu de la rue Lauriston et qui fut même photographié avec l’uniforme allemand. Certes, Abel Danos ne semblait pas être très impliqué idéologiquement dans la mise en place des nouveaux régimes en Europe, et qui semble plutôt avoir agi par opportunisme. La question qui se pose et pour laquelle on n’a pas de réponse, c’est pourquoi José Giovanni a-t-il choisi de conserver une référence transparente à un personnage condamné à mort pour des faits avérés d’intelligence avec l’ennemi. Est-ce pour rappeler les ambiguïtés de la Libération ? On sait par exemple que Danos fit équipe avec Raymond Naudy – qui porte le nom très transparent de Raymond Naldy dans l’ouvrage de José Giovanni – qui participa activement à des actes de Résistance. C’est très curieux d’appeler ses personnages Abel Davos et Raymond Naldy, alors que leur comportement n’a strictement rien à voir avec les personnages réels dont ils sont plus ou moins inspirés.

Egalement on peut pointer du doigt le fait qu’il s’était inscrit dans les Chantiers de Jeunesse, groupe Jeunesse et montagne, où il semble avoir pris justement le goût de la montagne.

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On savait également que le frère de José Giovanni, Paul Damiani, avait été un membre de la Milice, probablement proche de la rue Lauriston. Mais on ne savait pas que José Giovanni ait été impliqué en quoi que ce soit avec la Collaboration. Certes un ouvrage comme Mon ami le traître, paru en 1977, donnait une vision très ambigüe de la Résistance et de la Collaboration, mais elle avait été compensée par Le prince sans étoile, publié en 1998.

José Giovanni n’a par ailleurs jamais caché qu’il avait été condamné à mort à la Libération pour avoir avec son oncle et son frère racketté et tué Haïm Cohen qui se serait livré au marché noir. Mais il a toujours présenté cela simplement comme un crime de droit commun, laissant entendre qu’il avait été entraîné dans cette affaire par son oncle et par son frère.

Ce qu’on savait moins  c’est qu’il avait été condamné pour trois affaires distinctes. La première est liée à son inscription au PPF, avec celui-ci il aurait donc participé à des arrestations de Français d’origine étrangère. Egalement il a été jugé pour avoir racketté à Lyon avec un dénommé Orloff – nom qui servira à un personnage très probe et élégant du Deuxième souffle – des négociants juifs en 1944.

Ces révélations s’appuient sur les archives de la justice, et donc elles ne souffrent guère la contestation. Il reste beaucoup de points obscurs pour autant. Le premier est factuel, pourquoi José Giovanni est-il venu à Marseille où il se serait inscrit au PPF sur l’instigation de son père ? Cette question est importante parce que son frère lui était resté à Paris et les collaborateurs de la rue Lauriston y sont restés eux-aussi jusqu’au bout. A l’évidence il n’appartenait pas à ce cercle. Après l’arrestation du gang qui avait torturé et tué Haïm Cohen, son frère s’évadera, puis se fera flinguer dans un bar de Nice, mais lui sera arrêté pour s’être blessé avec sa propre arme.

Ce sombre passé est lié aux années de jeunesse de José Giovanni. Né en 1923, il avait à peine vingt ans lorsque ces fiats se sont passés. Et bien sûr on se dit que José Giovanni aurait tout aussi bien pu regretter ouvertement des actions de jeunesse en les mettant sur le compte des temps troublés. Sauf que cet aveu lui aurait valu les pires ennuis, car on aurait été examiné justement l’ensemble des trois affaires pour lesquelles il a été jugé.

Quand j’ai connu José Giovanni dans les années quatre-vingts, je ne savais rien évidemment de tout cela. J’ai discuté pendant de longues heures d’un peu de tout et d’un peu de rien. De cinéma bien sûr, de littérature, et aussi de politique.

C’était un homme plutôt cultivé qui avait fait de bonnes études secondaires au lycée Janson de Sailly, interrompues par la guerre. Homme ouvert et très curieux d’un peu tout bien sûr une grande partie de sa culture relevait de l’autodidaxie. Mais en tous les cas ses références culturelles n’avaient rien à voir avec les références habituelles de l’extrême-droite. Bien au contraire, tout son discours allait dans le sens d’une vision anarchiste, donc critique des formes autoritaires du pouvoir. De la même manière, je ne l’ai jamais entendu produire une réflexion raciste, au contraire, il racontait à quel point le peuple gitan qu’il trouvait maltraité, lui plaisait. Du reste, il intitula un de ses films Le gitan. Je ne pense pas qu’il cherchait à me vendre quoi que ce soit, ni même à me démontrer quelque chose.

Il m’a seulement parlé à mots couverts de son action dans la Résistance du côté de Nantes pour me dire qu’il avait à c e moment-là pris des risques importants. Sur le plan politique il était assez critique vis-à-vis de son ami Lino Ventura qu’il trouvait tout de même un peu trop à droite !

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Cependant, pour qui sait lire entre les lignes, José Giovanni n’a jamais été un collaborateur, et surtout pas de conviction.

Deux points me semblent importants : d’abord le fait qu’il a été condamné à mort pour un crime de droit commun à l’encontre d’un juif, mais ce juif-là était justement un collaborateur qui travaillait avec le bureau d’achat allemand, et le moment où ce crime a été commis intervient juste après la Libération, ce qui veut dire qu’on ne peut pas le classer comme un crime collaborationniste. Ensuite, le fait que José Giovanni donne dans ses mémoires, notamment Il avait dans le cœur des jardins formidables, qu’il appelle d’ailleurs roman, Antonini, Marcel Benda et Valcourt, qui ont témoigné de ses activités de résistant lors de ses multiples procès.

Enfin, dernière pièce apportée au procès, quand on lit, Il avait dans le cœur des jardins formidables, ou même ses Mémoires, il est évident que José Giovanni regrette son passé d’avant sa condamnation. Il considère qu’il y avait le jeune et violent Joseph Damiani, tête brûlée qui manquait de discernement et ensuite à partir de la publication du Trou José Giovanni, un autre qui essaya, même si ce fut un peu difficile au début de s’éloigner de ce passé maudit et encombrant. Il attribue ses errements et ceux de son frère principalement à son oncle qui se réfugia en Espagne à la Libération. Pour lui c’est important car Santos était le frère de sa mère, et tout son ouvrage lui sert aussi à réviser l’image qu’il a eu trop longtemps de son père, il signale que comme de nombreux adolescents il avait choisi dans les querelles familiales le côté de sa mère. Ces souvenirs sont du reste centrés sur la mécanique d’une famille fracturée, ce qui n’est pas une excuse, mais peut être une explication.

Mais il y a d’autres faits plus connus qui démontrent assez facilement qu’il ne pouvait plus être considéré comme un homme d’extrême droite, quel que fusse son passé par ailleurs. Plusieurs de ses films, Le rapace, Où est passé Tom, sont des critiques sans illusion des formes autoritaires du pouvoir. Au moins trois de ses films sont des plaidoyers contre la peine de mort, Un aller simple, Deux hommes dans la ville et bien sûr Mon père, il m’a sauvé la vie. Par ailleurs il était aussi très lié à Alain Corneau qui lui était un militant révolutionnaire d’extrême gauche.

La revue Temps noir, toujours dans son dernier numéro, publie également une très longue interview de Bertrand Tavernier qui travailla avec lui et qui fut son ami pendant de longues années. Celui-ci ne croît pas une minute au passé de collabo de José Giovanni, il le défend d’une manière attachante, ce qui équilibre la vision que Frank Lhomeau développe par ailleurs. Ce qui veut dire qu’à tout le moins cette question n’est pas vraiment réglée et que le passé de José Giovanni recèle encore bien des mystères.

Je ne sais pas si tout cela permet de mieux comprendre José Giovanni. En tous les cas pour moi il n’était pas, au moment où je l’ai connu, un homme d’extrême-droite, comme Audiard, Simonin qui restera sur ses positions politiques jusqu’à la fin de sa vie, ou Ange Bastiani. Il était plutôt lié à Auguste Le Breton dont il parlait volontiers, décoré quant à lui pour faits de résistance, et quand il mit en scène Mon ami le traître il fit appel à Claude Sautet et Alphonse Boudard pour l’écriture du scénario, deux hommes qui n’ont jamais rien eu à voir avec l’extrême droite.

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