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Philippe Bilger

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Difficile de garder l’image du magistrat austère, rigoureux à l’extrême, parfois rétif à la limite de la critique ouverte. Philippe Bilger aime à dire avec coquetterie qu’il « hait le droit ». Reconnu comme un esprit indépendant et inclassable, il tenu longtemps à Paris le siège du Ministère public dans des affaires criminelles très médiatisées.

Il privilégie les mots et se destinait plutôt à la littérature. Il faut le lire, mais surtout l’entendre. Philippe Bilger a le verbe envahissant, ondoyant à force d’être exigeant, et le zézaiement présent, comme une marque de fabrique, un étendard. Quelle verve, même si, parfois, affleure un soupçon de cabotinage !

 

Fils de Joseph Bilger, homme politique autonomiste alsacien. La condamnation de son père, Joseph Bilger, à dix ans de travaux forcés pour faits de collaboration reste, pour Philippe Bilger, une injustice qui n’a pas été sans incidence sur le choix de sa carrière de magistrat et sur sa manière d’exercer sa fonction.

Il l’avait commencée en 1972, comme juge d’instruction à Lille, après s’être rêvé agrégé de lettres. Expérience désastreuse. Philippe Bilger quitte le Nord pour la Seine-Saint-Denis, repéré par le procureur de Bobigny. Le solitaire est à sa place au sein du parquet indivisible. Cette adéquation constitue le premier d’une longue série de paradoxes. Mais pour Philippe Bilger, comme pour Diderot, le paradoxe n’est autre qu’une «vérité opposée aux préjugés du vulgaire». A Bobigny, il découvre la griserie des assises, temple de la sauvagerie humaine, mais aussi de la parole. L’oralité des débats sied à Philippe Bilger qui, au naturel, parle comme un livre. Son timbre particulier, son volume sonore monopolisent l’espace. Ses détracteurs moquent son zézaiement, l’appellent «Bilzer». C’est aussi malin que de prétendre résumer Talleyrand à une claudication. Philippe Bilger a la passion de comprendre les êtres contre lesquels il doit requérir. C’est moins le « comment ? » du crime qui l’intéresse que le « pourquoi ? » : il lui faut donc escalader les audiences par leur face la plus abrupte.

Son approche très intellectuelle des dossiers, son intelligence tactique, son art consommé du questionnement, la haute idée qu’il se fait de sa charge, l’idée qu’il se fait de sa personne, ont créé un personnage à part du petit théâtre judiciaire. Il aime cet ordre en hermine, mais exige d’y exercer sa liberté de penser et de parler. D’où la création, en 2005, d’un blog très lu, Justice au singulier, dans lequel celui qui se laissa longtemps cataloguer centriste – il était encore récemment l’invité de l’université d’été du MoDem – avant de soutenir le programme sécuritaire du candidat Sarkozy – qu’il ne manquera pas ensuite de vilipender – et de se dire désormais « anarchiste de droite », commente au gré de ses humeurs les faits et gestes du gouvernement, du président de la République, d’Adriana Karembeu ou de l’équipe de France de football.

Il ne s’interdit rien, ou presque. Il lui arrive par exemple de critiquer l’attitude du garde des Sceaux en exercice ce qui, dans la corporation, relève de la faute de goût ou de la tentative de suicide professionnel. Rachida Dati en a fait l’expérience, quand l’avocat général avait stigmatisé son goût ostentatoire pour les toilettes couture. Philippe Bilger avait été convoqué par le procureur général, un peu comme pour une garde à vue haut de gamme. Le ministre, sagement, n’avait pas donné suite. «J’éprouve une certaine volupté à me glisser dans les interstices de la presse officielle, avoue le magistrat en liberté surveillée. Il ne me déplaît ni d’étriller certains puissants ni de me faire traîner dans la boue en retour. Mais ce blog n’est pas un exutoire: c’est quelque chose de fondamental et tout me démontre qu’il n’est pas dérisoire.» Habitué des plateaux de télévision, auteur de livres (il publie Le Bal des complaisants chez Fayard début 2012), Philippe Bilger est l’un des rares magistrats français connus du grand public. Insaisissable, intarissable, inclassable, insupportable ou irremplaçable selon les goûts.

A l’heure où il s’apprête à continuer à écrire autrement le roman de sa propre vie, il se montre désabusé, voire crépusculaire : «J’éprouve de plus en plus comme une étrangeté, un malaise dans le judiciaire festif et collectif, comme si je n’étais capable que d’y aller du bout des lèvres, du bout de mon être. Ces grandes frénésies -décorations, manifestations et réunions- me troublent comme ma présence trouble ceux qui y participent. Quelque chose me donne envie d’être encore plus seul et, sans doute par contagion, gêne les autres. Cela s’accentue comme une fracture. Comme si on percevait que j’étais totalement rétif au conventionnel, à l’hypocrisie judiciaire et sociale. L’ennui m’habite. Le judiciaire qui sort de ses expressions royales est définitivement grotesque pour moi.»

Pour lui, «une défense pugnace est un pléonasme»

Faut-il s’étonner que, face à ce rêve déçu de justice presque parfaite rendue par des magistrats qui seraient à la fois praticiens et philosophes (selon la définition du courage par Jean Jaurès), ses pairs se méfient de Philippe Bilger et que ses chefs le traitent avec circonspection ? «Ils méconnaissaient totalement l’être judiciaire que je suis, déplore-t-il, avec la peur permanente que je développe à l’audience une thèse incompatible avec la leur.» En clair : Philippe Bilger est étiqueté « incontrôlable », alors qu’il n’est, parfois, qu’assourdissant dans sa recherche compulsive de dialectique, injuste dans ses anathèmes hors prétoire. Ses supérieurs l’ont toujours soupçonné d’être sinon à moitié fou, du moins suffisamment narcissique pour aller requérir l’acquittement d’un tueur en série patenté ou la clémence pour un braqueur compulsif, ce qui est absurde au regard de sa pratique. De surcroît, on lui prête – quelle horreur ! – des affinités avec le barreau, sous prétexte que, pour lui, «une défense pugnace est un pléonasme». Il est vrai que, dans la magistrature debout, on raffole souvent du barreau qui se couche. Pas lui, que fascine le rugueux Eric Dupond-Moretti. Pas parce qu’il est rugueux : parce que c’est le meilleur, et que Philippe Bilger rêve de ne boxer que dans la catégorie à laquelle il est persuadé d’appartenir.

Si l’avocat général a hérité de beaux dossiers (Emile Louis, François Besse, Bob Denard, Youssouf Fofana et le « gang des barbares »…), il s’en est vu souffler sous le nez bien d’autres. Yvan Colonna, notamment. Pour le troisième procès du berger corse, au printemps dernier, les avocats généraux candidats devaient se signaler à leur chef, le procureur général. Condition requise : accepter de « monter » avec un collègue et supporter deux gardes du corps pendant la durée des débats. Philippe Bilger s’est proposé, en spécifiant qu’il voulait y aller seul et qu’il refuserait toute protection. Il est de toute façon peu probable que le procureur général ait jamais eu envie d’envoyer Philippe Bilger, qu’il ne prise guère, représenter la société dans une affaire corse.

La magistrature jalouse ce rejeton remuant, elle ne le défend donc pas. Certes, quand à l’issue du procès du « gang des barbares », Me Francis Szpiner, partie civile, traite dans un journal l’avocat général de «traître génétique» – référence limpide à un père condamné à la Libération -, parce qu’il n’a pas requis assez lourd à son goût, le procureur général engage des poursuites disciplinaires. L’ordre des avocats dédouane Me Szpiner, le dossier se retrouve à la cour d’appel. En mars dernier, celle-ci estime que les propos visés ne sont pas «constitutifs d’un manquement à l’honneur, à la délicatesse et à la modération». On a connu la cour plus inflexible face à des prévenus moins influents que Me Szpiner, poursuivis pour outrage…

RB : Vous vous définissez comme un réactionnaire. S’agit-il pour vous d’une provocation, d’une volonté de choquer votre profession, réputée plutôt progressiste ?

PB : Non, c’est une réalité intellectuelle qui tient d’ailleurs moins au fond sans doute qu’à la forme. D’abord, je cultive, autant que je le peux en ma qualité de magistrat, une liberté d’expression pleine et entière. L’affirmation sans fard de ce que je crois et de ce que je n’aime pas, idées et/ou êtres. Je m’en prends à quelques puissants et n’attaque jamais les faibles. Plus profondément, le réactionnaire, en moi, éprouve une sainte horreur pour ce qui s’adapte mécaniquement au fil du temps et qui perçoit demain nécessairement plus radieux qu’hier. Ce qui distingue ma démarche de celle du conservateur, c’est que dans le passé je prétends puiser avec lucidité et en discriminant. Tout n’est pas à sauver dans l’ancien. Seulement, j’affirme qu’on a du pouvoir sur ce qu’on n’aime pas collectivement, socialement, politiquement. L’impuissance qui donne toute la puissance au siècle m’irrite au plus haut point.

RB : Il vous arrive, à côté de prises de position « politiquement incorrectes », de rejoindre le discours dominant*, par exemple lors de la victoire, puis de l’investiture, de Barack Obama. De même, bien qu’étant classé à droite, vous défendez souvent les médias, notamment Mediapart, très nettement situé à gauche. Au-delà de l’indépendance d’esprit dont cela témoigne, n’y a-t-il pas une contradiction à défendre vos idées et ceux qui les dénigrent ?

PB : Merci de rappeler ces contradictions, ces hiatus et ces distorsions. Elles signent, à mon sens, précisément ce que j’appelle ma liberté d’expression. La qualité fondamentale qu’implique cette belle exigence démocratique est d’abord de sortir de soi, de regarder autour de soi, de décaper son être et son intelligence (si on en a) des stéréotypes qui la figent et enfin éventuellement de penser contre soi. Ce qui me frappe aujourd’hui, c’est le phénomène inverse : l’enfermement souhaité, le confort de la coïncidence entre soi et soi, soi et ce qu’on pense, l’opacité d’une personnalité murée sur elle. Les contradictions que vous évoquez à juste titre ne démontrent évidemment pas que j’ai raison dans ce pluralisme qui me vient naturellement mais au moins que je sais respirer, m’ébattre sur les champs des autres, avec toute la modestie qui doit s’attacher au surgissement d’une subjectivité avec ses forces et ses inévitables faiblesses.

« Je ne sais pas quel est l’hebdo le plus ridicule. En définitive, je pencherais tout de même pour Madame Figaro. Les mêmes têtes toujours, les mêmes femmes, l’argent, le creux des pensées et la banalité des opinions, l’élitisme vulgaire, de la promotion à revendre — tout le monde n’est pas Isabelle Huppert pour la rendre supportable —, du futile, de l’offensant à force de légèreté et de sottise, un autre monde dégoulinant de contentement de soi et de volupté devant ce que la vie et la fortune lui ont offert. Du rien sur papier glacé. On a envie de devenir anarchistes, de les emmener dans la véritable existence et de les inviter à regarder ! Les Français sont beaucoup moins révolutionnaires qu’on ne le dit. Si patients et complaisants envers ce qui les met en exil dans leur propre pays… »

http://www.valeursactuelles.com/philippe-bilger-%E2%80%9Cobertone-brise-tous-tabous%E2%80%9D20130115.html-0

La liberté semble donc être au cœur de la vie de Philippe Bilger, combat pour lequel il a été distingué du grade de Chevalier de la légion d’honneur. Il a défendu celle des autres durant sa carrière d’avocat et exprime maintenant la sienne. Ce blog c’est avant tout un retour à sa passion première, l’écriture, sacrifiée car « il fallait bien gagner sa vie ».  Ce blog, c’est aussi un livre 2.0 dont nous attendons avec impatience les nouveaux chapitres.

http://www.philippebilger.com/blog/2013/04/les-cons-du-mur.html

BHL agent de police (intellectuelle) par Philippe Bilger

On m’a signalé que sur le site ouvert par Bernard-Henri Lévy et géré, sous sa responsabilité, par Liliane Lazar, une inconditionnelle de sa personne et de son oeuvre, était publiée une fiche sur moi. Je suis allé la consulter et j’ai été effaré. A la fois par la mauvaise foi qui a présidé à sa rédaction et par l’honneur qui m’était fait puisqu’on feignait de comparer très sérieusement nos parcours, nos travaux, les mérites de nos pères et notre humanisme à l’un et à l’autre. Bernard-Henri Lévy grand vainqueur évidemment sur tous les plans ! Qui aurait pu douter d’une telle issue ?

Avant d’aborder le détail de cette fiche, un mot sur l’étrange méthode mise en oeuvre. C’est en effet une véritable fiche de police – intellectuelle si l’on veut – qui est proposée aux visiteurs de ce site. « Ennemi » de BHL, je n’étais accompagné, dans cet ostracisme, que par un philosophe prestigieux : Gilles Deleuze. Je n’imagine pas une seconde qu’il puisse me prendre l’envie de dénaturer mon blog pour le constituer en une sorte de documentation biaisée qui viendrait mettre à mal mes adversaires. Cette démarche revendiquée par Liliane Lazar n’a pas pu être menée à bien sans que BHL apporte sa caution convaincue à un tel procédé. Cette investigation en elle-même est honteuse, même dans l’espace de la polémique. Cette police – de la pensée, de la bienséance et de l’honneur familial – est d’autant plus scandaleuse qu’aucun commentaire n’est possible, de sorte que mensonges, approximations et insinuations prospèrent à l’abri de toute réplique. Surprenante conception de la tolérance et de la démocratie !

Cette incursion sur son site a troublé un climat qui de mon côté, paradoxalement, commençait à se pacifier. D’abord parce que je connais son fils Antonin qui est avocat, et que je l’apprécie beaucoup. Je n’étais pas loin du « tel fils, tel père ». Ensuite parce que notre polémique récente sur sa perception orientée du procès Fofana m’avait en quelque sorte rapproché de lui, comme si son ressentiment infiniment humain me l’avait rendu plus familier que certaines de ses vertus ne l’auraient fait…

Aussi suis-je obligé de me livrer à un inventaire rapide des inexactitudes bénignes ou graves entachant la crédibilité de cette fiche de police :

Je n’ai jamais commenté une affaire à laquelle « j’aurais été es qualités mêlé ». J’ai réagi, après l’arrêt criminel dans l’affaire Fofana et autres, à un bloc-notes perfide de BHL publié alors même que le procès n’était pas terminé. Je me suis toujours attaché sur ce blog – et c’est une évidence pour qui connaît les règles judiciaires et ma propre déontologie – à ne pas mêler le citoyen aux réquisitions du magistrat.

Par ailleurs, la famille Halimi et son avocat –  l’expérience et le bloc-notes du Point ont démontré comme BHL et lui étaient proches – m’imputent « un réquisitoire indulgent » dans l’affaire Fofana et autres. Il est inutile de répéter, sanctions à l’appui, comme cette accusation est grotesque. Je maintiens que l’appel ordonné par le garde des Sceaux – celle-ci révèle, dans l’excellent dernier livre de Mathieu Delahousse, que c’est son directeur de cabinet qui lui a soufflé cette idée absurde – imposera un nouveau procès qui aura du mal à soutenir la comparaison avec le premier. Mais les dés ont été jetés en juillet dernier !

Liliane Lazar s’acharne ensuite à comparer nos existences ce qui, en d’autres circonstances, m’aurait honoré. Que nos origines politiques soient différentes est une évidence puisque je n’ai jamais été proche des maos. En revanche mon passé professionnel, qui m’a conduit notamment à batailler contre Jean-Marie Le Pen dans plusieurs affaires de presse, n’a pas été éloigné des joutes verbales de BHL.

Mais ces considérations sont dérisoires puisque l’essentiel est de « vanter le passé de Français libre du père de BHL » et de dénoncer « le passé collabo du père de Philippe Bilger » (rappelons que j’étais âgé de quatre ans lors de la condamnation de ce dernier) ! A deux reprises, je me vois reprocher d’avoir « conservé une forme d’estime pour son parcours ». Je me garderai bien d’émettre la moindre opinion sur le père de BHL puisque pour beaucoup il n’est entré dans l’information qu’à cause  d’une déconfiture financière au Maroc dont son fils l’a tiré grâce à François Mitterrand et à François Pinault. Pour moi, je vais aggraver mon cas en dépit du délice amer que je sens dans l’expression « père collabo » dont on prétend m’accabler. M’étant renseigné, ayant lu tout ce que je pouvais lire, ayant compris les duretés et les ignominies de l’époque, je n’aurais pas trouvé choquant que mon père soit acquitté parce que, de fait, il n’a eu le comportement qui lui était reproché que pour sauver une multitude de gens et qu’il y est parvenu. Il aurait pu fuir comme tant d’autres et s’il n’a pas succombé à cette lâche tentation, c’est que persuadé de son bon droit il espérait le meilleur de la justice d’alors. N’avait-il pas raison, d’ailleurs, puisque dans une période où l’expéditif et l’extrême dominaient, dans une société naturellement chauffée à blanc, il n’a été sanctionné qu’à une peine de dix ans après que son acquittement a été envisagé ? Il n’y a pas de quoi rougir. En tout cas pas de quoi vous rappeler avec bonne conscience une ascendance exemplaire quand la vôtre serait indigne !

Je n’aurais également considéré Dieudonné que comme « un banal agitateur », lui reprochant seulement, lors sa dernière pitoyable pantalonnade avec Faurisson, de n’être plus utile aux partisans de la liberté d’expression.  Ce « provocateur antisémite », tel qu’il est qualifié sur le site, a été à plusieurs reprises relaxé par les tribunaux correctionnels et je maintiens – ce n’est pas un crime contre la pensée – qu’il y a eu une période et un Dieudonné sans commune mesure avec celui d’aujourd’hui. Discutable, souvent « limite », Dieudonné, alors, proposait une problématique qui n’était pas par nature insupportable. J’ajoute que j’ai écrit plusieurs billets pour traiter de lui, exclusivement ou non, et qu’il me semble malhonnête de ne pas relater l’évolution qui les lie les uns aux autres et de prétendre résumer l’un d’eux par une expression brève et totalement détachée de son contexte.

Il est vrai que Dieudonné n’est exploité à mon encontre que pour tenter de démontrer à quel point je serais raciste, antisémite, obsessionnellement. C’est ainsi que je suis blâmé, avec lourdeur, de ne pas apprécier Alain Minc, Jacques Attali, André Glucksmann, Max Gallo et bien sûr (sic) BHL. Je ne vois pas en quoi, dans une analyse sur les intellectuels d’aujourd’hui, pertinente ou non, je n’aurais pas eu le droit de déplorer qu’ils soient « des handicapés de l’universel » ou que Gallo soit devenu le Déroulède du sarkozysme. Cette perception n’a rien qui permette d’instruire un procès contre moi. Que BHL se rassure : j’aime Alain Finkielkraut, Régis Debray, Alain-Gérard Slama, j’aime lire Michel Foucault, Jean-Paul Sartre, Albert Camus et d’autres. Je ne déteste pas écouter et supporter Alain Badiou. Ce que BHL ne parvient pas à saisir en dépit de son extrême intelligence – peut-être à cause d’elle, qui ne le met en rapport qu’avec lui-même -, c’est que j’adore par-dessus tout penser contre moi-même, aller chercher ici ou là de quoi nourrir ou irriter ma réflexion. Je n’ai pas décidé, pour lui complaire, de m’abriter d’emblée et pour toujours derrière les personnalités et les pensées acceptables et qu’il aurait eu la charge d’élire. Je refuse qu’on aille chercher dans mes dilections ou mes résistances autre chose que les purs mouvements contradictoires de mon esprit. J’ajoute que je ne suis pas stupide au point de méconnaître les qualités de ceux qu’il serait obligatoire de célébrer. Mais, justement, dans les rapports intellectuels, je hais le devoir et je préfère la liberté risquée au conformisme chic, l’exigence de la vraie morale aux tolérances à la mode (le retournement en faveur de Frédéric Mitterrand en est une caricaturale illustration).

Enfin, le comble. J’irais scandaleusement harceler BHL parce je me suis permis de dénoncer sa double incursion judiciaire lyonnaise. Pourtant, il n’est personne qui ne l’ait jugée ridicule, partisane et, pour tout dire, inutile. Il s’est égaré dans le champ de la justice et celle-ci, brutalement, lui a donné tort. Grand témoin, il n’a pas été grand et il n’était témoin de rien. Je n’aurais pas eu le droit, moi modeste sur ce blog à l’objet limité, d’affirmer ce que je ressentais. Ce serait moi qui le poursuivrais alors que BHL se trouve partout, qu’il anticipe tout et qu’on s’essoufle à tenter de suivre ses prestations médiatiques et internationales. Il dirige, il influence, il étouffe, il dénonce, il moralise à sa manière impérieuse et sans appel, il excommunie, il brille, il gagne et perd rarement. Il n’est tout de même pas interdit, devant une personnalité aussi évidemment éclatante, aussi clairement courtisée, de murmurer qu’il a réalisé un film nul avec Alain Delon, qu’il ne devrait pas se prendre pour Sartre en soutenant Battisti, que ses entretiens avec Michel Houellebecq étaient très mauvais et qu’il serait bon, parfois, de lui concéder un droit au retrait.

Il n’empêche que son talent à l’écrit et à l’oral, son souffle, le culte magique de soi qui ne le détruit pas mais parfois le sublime devraient être mieux employés. Pas, en tout cas, à lancer un tel site avec de telles allégations. Quand on est BHL, on ne se mesure pas à un Bilger. Ou alors on le défend quand il est traité de « traître génétique » selon l’élégante définition qui m’a été appliquée par son ami Me Szpiner. On ne choisit pas ses « bonnes » causes. Le but de ce site, c’était quoi, selon Liliane Lazar ? « Donner à tous ses amis, à tous ceux qui s’intéressent à son travail, aux étudiants, aux chercheurs une base de données fiable et un outil de travail digne de lui ». Grâce à cette lamentable fiche de police qui interdit le commentaire et contraint au billet ?

Le journalisme, célébré comme contre–pouvoir ou quatrième pouvoir, fait aussi l’objet, et en même temps, depuis plusieurs années, d’une suspicion aussi bien éthique que technique. Au point qu’on en oublie presque le rôle irremplaçable du journaliste en démocratie.
Celui-ci, qui n’est pas un historien ni un policier ni un juge, partage pourtant avec eux l’exigence de vérité mais a la charge de la satisfaire par des voies qui sont spécifiques. Trop souvent tenté par des aventures intellectuelles qui, loin de le grandir, le font sortir de son champ de prédilection, le journaliste doit accepter de l’être totalement, mais de n’être que journaliste (…) Bien sûr, rien ne plaît plus aux journalistes que l’étiquette de résistants ou de rebelles qu’on leur accole trop volontiers. Parce qu’on les a qualifiés presque mécaniquement de combattants, ils ont eu tendance à s’endormir techniquement, persuadés que les lauriers de la polémique ou du regard critique leur tiendraient lieu de tout.

« Nous vivons dans une société où il y a trop de censeurs, où la liberté n’est plus une valeur dominante. La liberté d’expression est démembrée d’une manière dévastatrice ! »

Il me semble qu’aujourd’hui nous nous préoccupons moins de la justesse d’un propos que de savoir s’il est décent ou non. Avant de s’exprimer librement il faut accepter de passer sous les fourches caudines maniées par ceux qui détiennent les secrets de la pensée correcte. Il est dangereux de considérer un propos sous l’angle de la bienséance avant de déterminer s’il est juste ou s’il ne l’est pas (…)

A la judiciarisation de la pensée, Philippe Bilger préfère l’affrontement civique des opinions et des idées, ce qui nécessiterait de la part des médias qu’ils sortent du convenu, de l’approximation ou de la dérision faussement audacieuse pour faire entendre la parole plurielle d’une société aujourd’hui sans voix.

Philippe Bilger a estimé que « beaucoup » des trafiquants sont noirs et arabes, validant les propos controversés d’Eric Zemmour, sur son blog dans une note consacrée au journaliste :

«Tous les noirs et tous les arabes ne sont pas des trafiquants, mais beaucoup de ceux-ci sont noirs et arabes»

«Je propose à un citoyen de bonne foi de venir assister aux audiences correctionnelles et parfois criminelles à Paris et il ne pourra que constater la validité de ce fait, la justesse de cette intuition qui, aujourd’hui, confirment un mouvement né il y a quelques années», écrit Philippe Bilger dans sa note intitulée «Eric Zemmour ou le trublion officiel.»
«Il n’est point besoin d’aller chercher des consolations dans les statistiques officielles, dont la finalité presque exclusive est de masquer ce qui crève les yeux et l’esprit si on accepte de regarder», estime-t-il. Pour lui, l’émotion suscitée par les propos de M. Zemmour s’explique par le fait que ce dernier a «dépassé une ligne que la bienséance et l’hypocrisie considèrent comme absolue»

Dézingué par un portrait bien pensé de Libé : La gloire à l’état pur. Quoi de plus jouissif pour un pourfendeur de l’aveuglement c:ollectif au mirage progressiste que de se faire ainsi traité : http://www.liberation.fr/societe/0101631102-philippe-bilger-un-avocat-tres-general

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