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Stephen Hecquet

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 Inusable avocat, Stephen Hecquet caracolait d’une prison à un palais de justice, d’une plaidoirie à un arbitrage; le soir venu, il se rendait au théâtre puis en rédigeait une critique qu’il livrait à quelques hebdomadaires avisés. Plus tard, il retrouvait ses amis pour dîner. De véritables banquets. On le dit magnétiseur, à son contact tout devient effervescence spirituelle, bacchanales de calembours et autres joutes verbales. S’il perd un peu de sang au passage, s’il se livre, c’est normalement par excès, de mauvaise foi ou de générosité, à votre guise. 

Hussard du barreau, Hecquet est anarchiste par passion de l’ordre, par amour de la miséricorde. Depuis ses 24 ans, il se sait condamné, atteint d’une malformation cardiaque. Il va donc s’embarquer sans retenue dans une existence galopante et tumultueuse, se jeter à l’eau dans chaque article pour sauver une vérité perdue; réveiller la magistrature en mettant du bon sens dans ses paradoxes et de l’indignation dans son bon sens. Cette fougue stimulait son naturel : le goût d’être soi et, pour l’être jusqu’au bout, la volonté de déplaire. Hecquet fut un libre esprit, dans l’intrépidité des gambades perdues d’avance.

Au palais, il était peu récompensé. La littérature ne lui avait pas ouvert les bras très grands. Quand aux grands journaux sans opinion, ils s’en méfiaient. Hecquet ne songeait pas à s’en plaindre, la mécanique infidèle du monde lui paraissait satisfaisante. L’auteur a préparé un chemin de sable; il ne reste plus qu’à entreprendre la traversée. D’autant plus impérieuse que les sentiers de ses étincelles menacent, sous le feu de l’indifférence, de disparaitre.

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Né à Valenciennes le 7 juillet 1919, Stephen Hecquet était de ceux qui eurent 20 ans en 1939. Le choix qu’il fît à ce moment là sera condamné par l’Histoire mais il ne reniera rien: « Quand le coeur a dicté sa conduite, pas d’erreur possible; on peut alors être démenti par les résultats, on est certain, vous m’entendez, certain de ne pas s’être trompé soi-même. » (Les Guimbardes de Bordeaux. Responsable dans un Chantier de jeunesse et, à partir de 43, membre du cabinet du préfet de Versailles, il n’a pas, du fait de ses activités administratives, connu de désagréments à la Libération. Inscrit au bureau de Paris en février 1945, il plaida plusieurs fois pour la plèbe de la collaboration. En même temps, se lançait dans l’écriture de Daniel. portrait d’un jeune homme dont les exigences généreuses se heurtent à la médiocrité du monde et qui, lassé, abandonne la lutte pour se réfugier dans le petit bonheur bourgeois du mariage.

En 47, premier secrétaire de la conférence du stage, Hecquet candidate à un prestigieux concours d’éloquence. Et en achèvant un discours complètement improvisé, soudain, venu à sa péroraison, montre un doigt du coin du plafond qu’il désigne du doigt et dit : « quel est cet objet creux, gonflé de vent et qui résonne comme une outre ? C’est un discours de conférence »puis se rassoit.

Sa carrière d’orateur a à peine commencé qu’il a déjà atteint le point critique où l’admiration des uns et la détestation des autres précipitent la naissance d’un grand destin. Son étoffe, toutefois n’est pas de celles où l’on taille les gloires officielles et les uniformes d’académicien. Il ignore l’ambition, se moque des honneurs et méprise l’argent. Son seul luxe est le dénuement. 

Si Céline est le médecin des pauvres, lui est le conseil des causes sans le sou, l’avocat des condamnés à mort à qui l’on sert la main, dans la froidure de l’aube et qui, pour payer les honoraires, n’ont que leur vie à offrir. Hecquet plaidait comme requiert un procureur. Il réclamait le pardon en fulminant l’anathème. Il défendait les victimes en tonnant contre les puissants :

« Juges de tous les âges, de toutes les nations, magistrats blanchis sous l’hermine et sous l’obéissance, procureurs empourprés de crimes et de honte, jurés gris et tristes, pris dans vos gilets de laine et vos élans de haine, venez voir vos victimes bien portantes, car voilà votre vérité : ceux que vous avez tué ne sont pas morts. Vous les avez déshonorés, ils sont l’honneur du monde ».Unknown

Hecquet portait la robe comme les prêtres d’autrefois l’uniforme des hautes préoccupations. Il accomplissait un devoir sacré ; il servait, loin des autels de la peur, contre l’imposture régnante et les pouvoirs gardiens de la bassesse instituée, les valeurs délaissées ; il menait combat contre le désordre établi, la déraison d’un Etat de vindicte, il déclarait en polémiste la guerre au système judiciaire.

Par modestie sans doute, il admirait d’abord et ne cherchait pas à rapetisser. Pour lui-était-ce une contagion de la magistrature idéale- chacun pouvait à la rigueur être juge et non puni. Même à ceux qui l’attaquaient, de front ou de biais, il témoignait une considération à leur mesure. Marcher jusqu’à l’aube ne lui était pas étranger mais, le plus souvent, il rentrait chez lui: il avait toujours un roman à écrire, un pamphlet à avancer, des coups de fils à passer. A cette vie trépidante, il mêlait les intermittences du coeur: il tombait amoureux, finissait malheureux. Dormir peu lui était une nécessité et une hygiène de vie. Alors il repartait dès le lendemain et, avant un bref déjeuner, devait bien songer qu’il allait bientôt mourir…Le bout de vie qu’il lui reste n’est pas assez grand pour qu’il s’y enferme. 

Chez Hecquet, les complaisances geignardes de l’humanitarisme étaient proscrites. Il parlait au nom de sa connaissance du malheur et de celle, plus proche encore, du dégout. L’écrivain et l’avocat avaient la même fonction : dénoncer l’hypocrisie, entrer en colère comme on entre en religion. La clef de cette révolte, c’est le souvenir d’une humiliation, tournée en ridicule par la jactance cocardière.Alors qu’on embouchait les trompettes de la renommée pour saluer le retour des taxis de la Marne, Hecquet rappelait la ruée sauvage et chaotique des guimbardes de Bordeaux. Défendre les causes perdues, c’était amplifier l’accusation contre la mémoire falsifiée. Hecquet se consolait de ce devoir austère en s’adonnant au vice impuni. gimbardesq

Hecquet s’attaque à la plus dévastatrice des passions : l’indifférence. Elle « est d’abord impotence ou mieux: inappétence, que le dédain dont elle s’entoure n’est qu’un des moyens de masquer la trahison du désir, que ce dédain fait souffrir ceux qui le manifestent autant que ceux qui s’en assurent les victimes, que si la souffrance est moins évidente et probablement moins grande, la différence n’est que de degré, non de nature, et parce que la privation de ce que nous aurions souhaité d’avoir laisse moins de vide que la privation de ce que nous avons eu. » Pour l’auteur, cette confusion des sentiments n’a as lieu d’être: « Nous nommons amitié les prémices ou les agonies de l’amour, le moment du plus doux espoir et de la plus tendre des résignations. »  Anne ou le garçon de verre est le roman de l’aisance, du brio, de l’élégance.femmesesclaves

 Le livre où Stephen Hecquet montre tout son éclat est ce pamphlet dont on se demande bien s’il pourrait être accepté aujourd’hui. Faut-il réduire les femmes en esclavage? est jubilatoire, féroce, spirituel, roboratif. « Votre souci primaire d’égalisation, votre instinct planificateur, n’ont atteint qu’à aggraver votre condition. Vous avez préféré les conventions collectives aux accords particuliers, la certitude de la médiocrité aux rebondissements de l’incertitude, les règles du droit aux exceptions de la vie » 

Il écrivit ses pamphlets au grand jour, ses romans en cachette, parfois pour tenir cette promesse, parfois pour en garder l’envie. L’aigle du palais fut autruche devant ses livres : en les cachant, il pensait qu’on ne les lirait pas et surtout, car il se serrait passé de l’insuccès, qu’on ne mêlerait pas trop les deux hommes qu’il voulait être, l’homme de plume et l’homme de lettres. Le triomphe du premier, l’effacement du second furent deux entreprises parallèles, menées à bien.

Il disait dans son second livre paru en 49 : « Le plus douloureux, en effet, dans la fin d’un jeune homme, n’est pas la perte de la vie, mais la ruine des espérances, et non la nostalgie des choses, mais des actes, non la nostalgie du passé, mais du futur. »

5 mai 1960 imagesmortcéline

Après une lente et pénible sonie, Stephen Hecquet a ouvert la voie aux disparitions prématurées. 40 ans seulement.

Le premier destin tragique des écrivains des années 60, c’est lui. Il était le grand ami de Nimier. Son grand frère qui le rejoindra deux ans plus tard. Un Nimier « cassé par la douleur, sanglotant sur la tombe ouverte de Stephen à Valenciennes. Des deux, on ne saura jamais lequel a eu le plus d’influence sur l’autre. » (Chardonne)

28 septembre 1962

« Oui la mort de Nimier avait un sens, après celle d’Hecquet: le temps passerait lentement avant que ne vienne la relève de leur garde, notre génération n’était pas l’élue, puisque ses souverains étaient fauchés en pleine vie, elle n’aurait qu’un rôle contemplatif et contempler à assurer dans la mascarade du monde. «  Eric Ollivier. Leurs successeurs connaitrons plus de succès et d’honneurs séculaires, mais ne posséderont jamais leur rayonnement.

 Intelligence rare, talent indubitable, le bouillonnant Stephen Hecquet méritait un meilleur destin. Il a laissé quelques livres fameux et quelques formules qui trottent toujours dans la tête: « La justice, cette forme endimanchée de la vengeance. », « Ce qui est beau d’un homme: c’est ce qu’il a raté! », « Toute femme a dans son coeur un bourreau qui sommeille. » 

« Mais comme le brillant esprit n’a besoin que d’une boutade pour retrouver l’essence de l’univers, l’homme vraiment supérieur se contente d’une caresse pour jouir du miracle de la possession. »

Ouvrages publiés

  • Collégiens, Éditions de la Table Ronde, 1960
  • Les guimbardes de Bordeaux, Éditions de la Table Ronde, 1958
  • Anne ou le garçon de verre, Plon, 1956
  • La tête dans le plat, Éditions de la Table Ronde
  • Faut-il réduire Les femmes en esclavage ?
  • La grande chance de M. Ferdinand Marie Madeleine Cardiaque, Editions Nagel, 1953.
  • L’homme accusé, Editions Nagel Essai, 1952.
  • Bons pour la mort, Editions
  • Daniel, Editions Bateau Ivre, 1946.
  • Daniel II, Editions Nagel, 1951.

Merci à :

Alexandre le Dinh – De nécessité vertu.fr 

Christian Millau et feu Eric Ollivier & Pol Vandromme

Mes espoirs de retour par H.J. Coudy:

Stephen Hecquet (1919-1960), le hussard ensablé

Hecquet-Stephen-Collegiens-Livre-850605741_MLNous entretenons un lien curieux avec Stephen Hecquet, mort à presque quarante-et-un ans il y a maintenant plus d’un demi-siècle et nous le devons à notre mère.Stephen Hecquet était, au début des années cinquante avocat, à une époque où parait-il la profession était d’une bonne rentabilité, n’attirant pas l’attention des services fiscaux qui traitait ses revenus au forfait, évidemment sous-évalués. Il se trouve qu’il appartenait à la même mouvance, intellectuelle et politique que notre père qui était également avocat ; il vint dîner un soir chez mes parents, nous devions y être mais à un âge où l’on dort quand les adultes dînent . Nous avons gardé depuis le récit  d’un Hecquet entrant dans la cuisine de notre mère, sans y être invité, regardant de près ce qui s’y faisait et commentant d’un ton qui déplut ; les mauvaises manières de Stephen Hecquet sont pour nous une histoire bien ancienne. Hecquet avait servi dans l’administration préfectorale d’un département proche de Paris, la Seine-et-Oise, pendant la guerre ; il en tira une chronique «  Les Guimbardes de Bordeaux » dont le titre est suggestif mais le contenu en retrait, on est loin du Maurice Sachs de La Chasse à Courre, dans le Bordeaux de juin 1940. Il y prend sa propre défense, d’un fonctionnaire qui a servi et ne voit pas très bien pourquoi on pourrait le lui reprocher, et  surtout pourquoi les temps de la Libération furent aussi agités.
Mais Hecquet était aussi écrivain, ami d’écrivains ; il existe un court livre «  Tel était Stephen Hecquet » que lui consacra Roger Nimier, paru en 1962, dont on dit que le chagrin fut immense lorsque Hecquet, qui avait une malformation cardiaque et le savait, décéda en juillet 1960 ; nous citons la phrase que l’on trouve sur le site Wikipedia : «  Une lumière, un souvenir le hantait : la gloire de l’écrivain, la plus haute à ses yeux. Traverser les siècles à grands mots, être entendu quelque temps plus tard, cet enfantillage le brûlait ». On voit que nous sommes dans notre sujet en feuilletant les rares œuvres de Stephen Hecquet, le hussard ensablé. Une fois n’est pas coutume, c’est à deux livres  que nous nous intéresserons. Les Collégiens est paru l’année même de la mort de Hecquet. En 1993, la ville de Paris qui se préoccupe aussi de littérature le réédita dans la collection Capitale et en  fit cadeau à tout acheteur de 150 francs de livres chez un libraire ; elle entendait , et nous la citons, «rendre justice à l’exceptionnelle qualité d’œuvres d’écrivains moins connus de la période contemporaine ». On en jugera. Les Collégiens est une chronique, la chronique d’un grand établissement d’enseignement secondaire et préparatoire catholique parisien sur fond de grossissement de nuages, puisqu’elle se situe dans les deux années scolaires 1937-1938 et 1938-1939. Les amateurs reconnaîtront peut être sous le nom de Balthazar, Stanislas, Saint-Louis-de-Gonzague, Fénelon, en tout cas quelque chose qui y ressemble ; on suppose qu’Hecquet parlait en connaisseur et qu’il avait quelques comptes à régler. On y voit défiler des prêtres bien sûr, quelques rares enseignants et personnels laïcs, des élèves en général, si ce n’est toujours, issus de ce qu’on peut appeler les meilleurs milieux, des affaires, de la politique, de l’administration. Au sommet le chanoine Boulingrin ; un homme qui remplit admirablement sa mission de chef d’établissement prestigieux aux yeux de ses hiérarques de l’archevêché, un peu trop même si l’on considère que le chanoine ne songe qu’à devenir évêque, incompatible avec ses actuelles fonctions ; c’est que la route en est difficile ! Convaincre le cardinal-archevêque d’appuyer en cour de Rome sa démarche suppose d’éviter d’aussi redoutables obstacles que dressent «  les plus proches collaborateurs du prélat…les plus dangereux et les moins honnêtes des rivaux. L’un d’eux n’a-t-il-pas suggéré que le cardinal intervienne en vue de l’attribution de la rosette au chanoine, au titre des Affaires Étrangères ?…Mais le macaron décerné, adieu la mitre ! ». Boulingrin navigue, il faut le reconnaître, avec habileté, entre les nécessités du recrutement, les humeurs et les attitudes de prêtres aux sensibilités fort différentes, des lettres anonymes  relatives à leurs mœurs dont le vicaire-général, premier collaborateur du cardinal l’entretient ( mais allez savoir ce qu’il en pense), lui recommandant de ne plus se servir du cabriolet jaune clair du plus fortuné de ses clercs, qui fait désordre au sein d’un établissement aussi respectable… Car Hecquet est drôle. Drôle quand il met en scène les efforts de la direction de l’établissement pour trouver un prix à attribuer au fils d’un académicien, les mérites propres de l’élève l’interdisant, mais auquel académicien on ne peut faire l’affront de le refuser ; il y a bien un ancien de la maison , qui fut conseiller municipal de Gambais, qui désire attribuer un prix à un élève qui se sera distingué «  par son amour de la nature et son attachement aux choses de la terre » ; la seule difficulté est que l’ancien élève s’appelle Charles-Henri Landru, et s’il n’est qu’un lointain cousin du Landru plus connu, il conviendra d’effacer la mention de Gambais en faisant porter le chapeau à l’éditeur ( car le Landru en question y tient). Drôle quand la direction de l’établissement se met en quête de renouveler la galerie des portraits des anciens élèves illustres où les contemporains ont droit à une exposition particulière ; on y regrette que le maréchal Pétain ne soit pas un ancien élève , «  Avec un homme de cet âge, on n’a vraiment rien à craindre… » ; et on s’arrête, ça tombe sous le sens, sur le généralissime en poste, le général Gamelin, «  Gamelin sort de Balth ? Parfaitement , messieurs, et dans des conditions très honorables…Premier en composition française notamment, et toujours nommé en Histoire. Aucune incartade sur le plan moral. De plus un homme d’une courtoisie et d’une modération absolues. Rien de l’aventurier et du conquérant. Bref, le vrai chef d’une armée moderne, c’est-à-dire prête à la riposte plutôt qu’à l’offensive… ».soutane-1Drôle quand il conduit à son aboutissement la rivalité entre deux prêtres, chacun préfet des études, qui ne pouvaient déjà largement pas se sentir et dont l’attribution à l’un des deux de la surveillance du cours exceptionnel, réservé aux candidats au baccalauréat  ayant échoué à la session de juillet  qui retient l’heureux titulaire jusqu’au milieu du mois d’août, met le feu aux poudres. Les deux préfets  qui bénéficient chacun des heureux surnoms de Caïn et du Huron finissent par en venir aux mains devant un parterre de leurs confrères : Devant un rideau de soutanes, les deux hommes roulèrent à terre, leurs grandes bottines  à clous dessinant dans l’espace d’inquiétants moulinets. « Canaille, incapable, corbeau de malheur, fumier de curé, pourriture de Satan… « Et sans doute, le combat se fût-il terminé par quelque malheur, si l’abbé Lafon , entrant opportunément dans la salle, n’avait de deux directs posément assénés , séparé les combattants… ». Il est plus grave  quand il évoque les tentations qui rôdent autour du monde de l’établissement Batlhazar. Celle de la chair, bien sûr ; passe encore que l’élève Seboeuf, fréquente quelquefois les maison de tolérance et la couche d’une mère d’élève, mais les prêtres… Eh bien, certains prêtres ont les mêmes habitudes qui les exposent à être reconnus par leurs élèves. Mais il y a pour l’état de prêtrise, plus grave, qui pourrait être la naissance d’un sentiment. C’est qu’une nouvelle génération de prêtres est arrivée dans l’établissement qui a des vues sur le monde différentes, quelquefois très différentes, de celles des plus anciens ; ainsi l’abbé Leblanc,  qui est bien décidé à laisser sa santé, sa réputation, sa foi mais n’entrera jamais dans la voie de la compromission …La vraie révolution , c’est n’est aujourd’hui ni dans les comités ni dans les meetings, ni dans les combats qu’il faut la chercher. Malraux, Mauriac, Déat, Bidault, tous finiront ministres ou grand-croix de la Légion d’Honneur. Pouah ! Ce qu’il faut, c’est briser les livres scolaires, brûler les facultés, incendier les professeurs d’un feu nouveau... Bigre ! Trente ans avant d’autres iconoclastes, voila la jeune génération cléricale prise d’un étrange feu sacré. Car l’abbé Leblanc est torturé. Ne le voilà-t-il pas qui va demander à son collègue Ysabel, de la même génération, combien de leurs commensaux ont encore la foi… Ce à quoi Ysabel, indifférent cynique, à qui la stabilité matérielle et morale de la condition de clerc convient, répond : Mais aucun, mon ami, aucun…  et de l’entretenir de la perte de ce qui faisait la grandeur de l’église catholique et sa solidité, sa vocation de service public, en voie de disparition. Et puis, il y a Jacqueline des Butours, mère d’élève, délaissée par un mari homme d’affaires, fort pris, qui lui propose de participer à des réunions d’étude où des gens d’orientation différente viennent confronter leurs points de vue ; comment refuser quand le regard de Mme des Butours lui fait rajuster sa soutane comme une femme rajusterait sa jupe ; on peut craindre pour le jeune prêtre qu’il ne s’engage sur un chemin qui est, comme chacun sait, pavé de bonnes intentions…
C’est dans cet état d’équilibre instable que les évènements de l’automne 38, la crise des Sudètes, la mobilisation partielle puis la démobilisation, viennent donner un peu plus de roulis à la vénérable institution. Pourtant, Hecquet, dont il faut bien reconnaître la virtuosité d’écriture, n’évoque aucun drame, comme si passer du comique au légèrement grave lui suffisait. Il faut dire que les évènements que connût le jeune homme avaient leur plein de fureur. Il peut, en tout cas, être rassuré. Stephen Hecquet, le hussard ensablé, n’est pas oublié. anneHecquet pouvait écrire sur des thèmes fort différents. Anne ou le garçon de verre, qui met scène une relation triangulaire, dans lequel le narrateur évoque, avec un certain courage pour l’époque, – le livre est paru dans les années soixante, mais avant 68,  à tout le moins sa bisexualité. Était-ce le cas d’Hecquet, lui-même ? Oui, sans doute, même s’il nous paraît absurde d’évoquer les mœurs privés d’un écrivain pour en apprécier l’œuvre, contrairement à ce qu’une ministre a pu récemment dire. Anne est donc un garçon ; le prénom fut autrefois porté par des hommes même si la chose n’est plus courante. Le narrateur, un avocat, trentenaire, remarque la silhouette aux cheveux blonds d’un voisin de rue, dont il recevra une lettre d’invitation à un repas-débat puisqu’il est connu pour des interventions de conférencier. Il découvre qu’Anne est étudiant en droit, même pas vingt ans et se destine au notariat qui n’est pas, on en conviendra, un chemin romantique.
Pour autant, l’avocat comprend vite qu’il est amoureux de la régularité des traits du visage d’Anne,  une passion dormante et qu’un rien risquait de jeter hors de son lit. Ils deviennent amants. Un moment de bonheur, d’autant que le miracle était aussi qu’Anne s’emparait de mes pensées  et de mes loisirs , sans paraître les annexer , et davantage sans se prévaloir d’un empire dont je pressentais trop la portée pour qu’il ne me déplût pas qu’il fît montre de le mesurer. Mais, car évidemment il y a un mais, sinon où serait l’histoire, Anne n’est un garçon si poli que pour l’être à la manière des vitres du même nom : étonnant morceau de verre sur lequel les plaisirs et les peines coulaient sans laisser de trace. Désormais, le récit n’est plus que la quête, vaine,  de passion partagée, de la part d’un garçon qui n’est qu’indifférence avec lequel son aîné n’arrivera sans doute pas à partager ce qui lui tient à cœur. En fait, à l’origine de son parti pris d’entrer dans ma vie, il y avait encore et surtout l’amour-propre. Anne ne m’aimait pas : il aimait à être aimé par moi. Dès lors, Anne, conquis, se retirait de ma pensée par le même mouvement qui nous fait quitter, amants repus, le corps dont nous venons de prendre possession. Chez lui, la satisfaction n’était pas physique, mais intellectuelle. Ou mieux, socialeIl était à moi, s’en étonnait, s’en félicitait : il lui souciait peu que je fusse à lui. Mais  le narrateur n’arrive pas à rompre ; il n’y arrive pas plus lorsque qu’Anne lui fait part de sa rencontre avec Dominique, une femme ( Hecquet aime bien les prénoms sans sexe) dont il ajoute, vite, que son amant pourra en faire sa maîtresse ; il y a de quoi s’y perdre…. Le narrateur fait un effort pour s’éloigner sans résultat ; il accepte de rencontrer Dominique, dont il apparaît qu’Anne n’a de relations avec elle que pour se donner des allures adultes ; il la trouve jolie mais espère secrètement qu’Anne est trop beau pour être vraiment apprécié par une femme. Le fonctionnement du triangle se complique vite, du fait de l’absence de tout rapport charnel, confessé par  Anne entre lui et Dominique. Il arrivera ce qui doit arriver , le narrateur deviendra l’amant de la fausse maîtresse, pour quel aboutissement, pour quel drame ?
Nimier
Nimier

C’est là qu’on attend Hecquet qui, pourtant et contrairement à son ami Nimier, dont les personnages ont souvent un sort tragique, semble hésiter à l’aboutissement de situations devenues non-maitrisables. Peut être ne pourront-ils que souffrir longuement de l’absence persistante d’amour : J’avais moi-même glissé le long de ce beau miroir, quand il n’eût fallu que lui imposer un visage : le mien. Ce court texte de cruauté indifférente est étrange à lire à la suite des moments de franche gaieté des Collégiens. Hecquet devait être un homme déroutant. C’est ce qu’en disaient ses contemporains ; nous aurions aimé le voir devant Mai 68 qui lui aurait, nous en avons la conviction, inspiré des sentiments contradictoires, tant il avait la démarche classique du dandy, à la Baudelaire ou à la Barbey ; les hasards de la vie ont fait que nous n’en saurons rien, à notre regret.

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