« Je pense que l’honnête homme, l’homme qui se sent une âme, a plus que jamais le devoir impérieux de se replier sur soi-même, et, ne pouvant sauver les autres, de travailler à s’améliorer. » Lecture par Michel Bouquet et Julien Bertheau.
Avec Les Pléiades, le comte de Gobineau ferraille contre l’absurdité de l’Histoire, et dévoile un monde où trois catégories d’individus gouvernent, « les brutes, les sots et les coquins. » A ceux là l’auteur oppose une épopée réunissant trois jeunes aristocrates échappés du temps; en qui s’est réfugié l’esprit chevaleresque: un Français, un Allemand, et un Anglais qui se rencontrent sur le lac Majeur. Dans un élan très nietzschéen, ils rejettent « la société moderne.. la foule des pieds plats. » Gobineau nous propose une image où, au milieu d’une décadence diffuse, brillent quelques individus exceptionnels qui, bien conscients de leur supériorité, chercheront à développer leurs talents. Ils sont des « fils de roi »; « des êtres qui vivent, qui souffrent, qui aiment, autant qu’ils pensent. »
Le dandysme: un culte de la différence dans le siècle de l’uniforme, un monde métaphorique aux couleurs du soleil couchant, un exercice délicat sinon impossible.. Opposant le peu au trop, la gratuité au profit, la réserve à l’effusion et le délire de sa rigueur à la morne économie des ménages, le dandy est un travail à rebours.
Quand Barbey d’Aurevilly apporta à Marine Brandès quelques exemplaires de son Brummell spécialement reliés, « beaux comme des toréadors, dédicacés avec du sang rouge et du sang bleu, et des flèches », il ne manqua pas d’accorder son costume.
« Mais ôtez le Dandy, que reste-t-il de Brummell ? Il n’était propre à rien de plus, mais aussi rien de moins que le plus grand Dandy de son temps et de tous les temps. Il le fut exactement, purement ; on dirait presque, naïvement, si l’on osait. Dans le pêle-mêle social qu’on appelle une société par politesse, presque toujours la destinée est plus grande que les facultés, ou les facultés supérieures à la destinée. Mais pour lui, pour Brummell, chose rare, il y eut accord entre la nature et le destin, entre le génie et la fortune. Brummell n’eut point ce quelque chose qui était, chez les uns, de la passion ou du génie, chez les autres une haute naissance, une immense fortune. Il gagna à cette indigence ; car, réduit à la seule force de ce qui le distingua, il s’éleva au rang d’une chose : il fut le Dandysme même. »
Lectures illustrées de deux passages signifiants du Voyage au bout de la nuit, dans lesquels tout parait limpide, où les mots et les vérités définitives coulent avec cette aisance qui n’est jamais si grande que lorsqu’on a passé son existence à s’exercer.
« Ah camarades, ce monde n’est je vous l’assure qu’une immense entreprise à se foutre du monde ! » + « Les jeunes c’est toujours si pressé d’aller faire l’amour ça se dépêche de saisir tout ce qu’on leur donne pour s’amuser… »
Si leurs épées ont pu sommeiller, leurs plumes ne chômèrent guère. La guerre, ils en sont tous les trois revenus. Mais dans leurs perspectives, la guerre n’est pas une réalité que l’on pourrait circonscrire, mais une présence aux contours aussi incertains qu’obsédants. Indispensable à disséquer pour se comprendre soi-même, où l’on va et d’où l’on vient. Montherlant et Vigny, à près d’un siècle d’écart, reviennent ici sur ce qu’ils considèrent constituer l’honneur, là où Céline adopte un tout autre point de vue…
Souvent présenté comme un homme du passé, un rescapé de la vieille chevalerie, Henry de Montherlant se plaisait à revendiquer ses origines aristocratiques et sa fidélité à un ordre disparu. « Je suis par la naissance du parti pris du passé », écrit-il par exemple dans un volume de ses Carnets. Engagé volontaire lors de la Grande Guerre et blessé par un éclat d’obus, torero valeureux, athlète viril , l’auteur est dès le début de sa carrière un « professeur d’énergie ». Qu’il s’agisse de la figure du libertin, du torero ou de l’athlète, le chevalier, au sens large où l’envisage Montherlant, affirme sa valeur dans la violence et dans le combat. Mais il ne s’agira pas chez lui de décrire les batailles ou la vie du soldat au front dans le déroulement de son existence ordinaire, mais de saisir les mouvements profonds et parfois indistincts que la guerre met en branle au plus intime de l’être.
Élevé pour le roi sous l’Empire, dans une famille d’aristocrates pauvres, Vigny commence sa carrière militaire avec la Restauration, à l’âge de 17 ans. Dès lors, il ne connaît guère qu’une vie de garnison sans éclat, qui lui laisse le temps d’écrire ses premiers poèmes. S’en suivent plusieurs congés jusqu’à ce que Vigny obtienne sa réforme définitive, dès 1827. En juillet 1830, Vigny s’engage toutefois dans la Garde Nationale pour défendre l’ordre, mais sans grande conviction ; il ressent cruellement l’ambiguïté du rôle qui échoit alors aux soldats, de protéger la nation contre des ennemis intérieurs. L’avènement d’un roi peu légitime lui permet bientôt de s’estimer libre de tout devoir. Reste cependant un profond malaise, dont Vigny recherche l’origine, en deçà de la période de paix dans les mœurs militaires de l’Empire et de la Révolution. Il porte atteinte ainsi à la légende elle-même qui accentue le mal du siècle en dévaluant le temps présent. De ce malaise allait naitre Servitude et grandeur militaires.
La guerre ? « La guerre en somme c’était tout ce qu’on ne comprenait pas » (« On est puceau de l’Horreur comme on l’est de la volupté »), « une formidable erreur », un « abattoir international en folie ». Que révèle-t-elle ? « L’imbécillité infernale » (les gradés en prennent pour leur grade), « la sale âme héroïque et fainéante des hommes », des hommes « dupés jusqu’au sang par une horde de fous vicieux devenus incapables soudain d’autre chose, autant qu’ils étaient, que de tuer et d’être étripés sans savoir pourquoi », bref : « la fuite en masse, vers le meurtre en commun ».
Son enseignement ? « C’est des hommes et d’eux seulement qu’il faut avoir peur, toujours. » Un remède (sans illusion) ? « Quand on sera au bord du trou faudra pas faire les malins nous autres, mais faudra pas oublier non plus, faudra raconter tout sans changer un mot, de ce qu’on a vu de plus vicieux chez les hommes et puis poser sa chique et puis descendre. Ça suffit comme boulot pour une vie tout entière. »
Extraits illustrés des Épées (1948) et du Hussard bleu (1950). L’anti-héros Sanders a-t-il tué sous les ordres de la Résistance ou de la Milice ? Si Roger Nimier cherche ici à brouiller les pistes narratives, c’est pour mieux brouiller les cartes idéologiques. Dans cette guerre fratricide, pourquoi le meurtre au nom de la Résistance vaudrait-il des médailles, alors que tuer pour l’autre parti entraînerait une mise à mort certaine ?
Provocateur né, Roger Nimier a combattu dans la catégorie mi-lourd de la littérature. Ses uppercuts ont dérouté son époque. La rapidité de ses déplacements, l’efficacité de ses esquives lui ont valu mauvaise réputation. Reste le style, que l’Histoire n’a pas encore momifié. Musicien de la langue; orchestrateur, chacun de ses textes est accompagné d’une harmonie impalpable et pourtant ronde, cuivrée. Ce goût de la taquinerie, ce petit sadisme humoristique, cette grimace à peine sensible, étaient le dernier reste d’une blessure que l’indifférence du dandy n’arrivera jamais pas à tout à fait dissimuler…
À la suite d’une dispute à la rhumerie martiniquaise, Antoine Blondin rencontrait Roger Nimier.. Ils faillirent se battre, puis s’ensuivit une indéfectible amitié que seule la mort du deuxième vint clore. Partageant l’amour du rugby, du Veuve-Clicquot, de l’ironie corrosive et de l’insolence pailletée, les deux compères, pourtant peu avares en confession, se livrent ici et nous transmettent des leçons de vie assurément utiles pour préparer un déconfinement en fanfare, une sortie de quarantaine en mode hussard.
Détracteur de la bicyclette, de l’automobile et du téléphone, Léon Bloy, cet « irresponsable véhicule des turpitudes ou des sottises contemporaines », a bravement traversé son époque, en affichant un dédain absolu pour les innovations dont s’enorgueillissent les modernes. Vu l’état de délabrement et d’incertitudes que nous traversons actuellement, ses paroles mériteraient à tout le moins d’être ré-éxaminés..
Le confinement rendant chaque jour plus hurlante la nécessité d’évasion, il serait dommage de se priver de poésie.. Vous trouverez ici une playlist contenant 10 poèmes illustrés de Baudelaire, déclamés par les plus grands conteurs.. En espérant que cela vous offre de quoi fuir le spleen et qui sait, de retrouver un semblant d’idéal… Bien à vous.
Ne rien devoir à son époque, ne rien solliciter d’elle, parier contre ses goûts et ses fanatismes