Michel Houellebecq est un dépressif forcené, dont les clairvoyances dévoilent l’envers du moderne. De ces misères dont on préfère oublier le nom. Auteur français le plus lu à l’étranger, ce misanthrope ailé ne cesse, à chaque apparition, au moins d’intriguer. La dépression occidentale est devenue son «poncif». Mais le cauchemar contemporain est toujours tempéré chez lui par des poèmes consolateurs.
De la narcissisation à l’analyse du « pacte » scellé entre libéralisme sexuel et économique, mai 68, la violence, la dépression, l’entreprise, l’indifférenciation des individus, le clonage, l’avènement du tourisme de masse, la pornocratie, etc. Tout y passe, le moderne y boit la tasse. C’est évident et vexant. Du moins pour ceux qui font profession de nous expliquer le monde, de décerner bons ou mauvais points, de classer l’humanité en « cons », « salauds » ou « chics types ». Peu d’auteurs ont su percer avec autant d’acuité le médiocre avilissement de notre quotidien déshumanisé.
« Nihiliste, réactionnaire, cynique, raciste et misogyne honteux : ce serait me faire trop d’honneur que de me ranger dans la peu ragoûtante famille des anarchistes de droite ; fondamentalement, je ne suis qu’un beauf. Auteur plat, sans style, je n’ai accédé à la notoriété littéraire que par suite d’une invraisemblable faute de goût commise, il y a quelques années, par des critiques déboussolés. Mes provocations poussives ont depuis, heureusement, fini par lasser. » Ennemis publics.
Michel Houellebecq naît le 26 février 1958 à La Réunion. Son père, guide de haute montagne, et sa mère, médecin anesthésiste, se désintéressent très vite de son existence. Une demi-soeur naît quatre ans après lui. A six ans, il est confié à sa grand’mère paternelle, qui est communiste et dont il a adopté le nom comme pseudonyme. Il vit à Dicy (Yonne), puis à Crécy-la-Chapelle. Interne au lycée Henri Moissan de Meaux ;déjà ses camarades sentaient qu’il avait une capacité de réflexion et une puissance d’analyse, un recul sur les évènements tout à fait exceptionnels pour un garçon de son âge. On le surnommait « Einstein ».
A seize ans, il découvre Lovecraft, se retrouve sans doute dans cette phrase « Je ne participe jamais à ce qui m’entoure, je ne suis nulle part à ma place. »
Pendant sept ans, il suit les classes préparatoires aux grandes écoles. En 1975, il s’inscrit à l’école supérieure d’agronomie.
Sa grand’mère meurt en 1978. En 1980, il obtient son diplôme d’ingénieur agronome; il épouse la même année la cousine de son meilleur ami. Commence alors pour lui une période de chômage. Son fils Etienne naît en 1981. A la suite de son divorce, une dépression le conduit à faire plusieurs séjours en milieu psychiatrique.
Sa carrière littéraire commence dès l’âge de vingt ans, âge auquel il commence à fréquenter différents cercles poétiques. En 1985, il rencontre Michel Bulteau, directeur de la Nouvelle Revue de Paris, qui, le premier, publie ses poèmes; c’est le début d’une amitié indéfectible. Ce dernier lui propose également de participer à la collection des Infréquentables qu’il a créée aux éditions du Rocher. C’est ainsi que Michel Houellebecq publie en 1991 la biographie de Howard P. Lovecraft, « Contre le monde, contre la vie ». Il intègre l’Assemblée Nationale en tant que secrétaire administratif. La même année paraît « Rester vivant » aux éditions de la Différence, puis chez le même éditeur, en 1992, le premier recueil de poèmes : « La Poursuite du bonheur », qui obtient le prix Tristan Tzara. Il fait la connaissance de Marie-Pierre Gauthier.
En 1994, Maurice Nadeau édite « Extension du domaine de la lutte« , son premier roman, actuellement traduit en plusieurs langues, qui le fait connaître à un public plus large. Il collabore à de nombreuses revues (L’Atelier du roman, Perpendiculaires, dont il est ensuite exclu, Les Inrockuptibles).
Depuis 1996, Michel Houellebecq est publié par Flammarion, où Raphaël Sorin est son éditeur. Son deuxième recueil de poèmes, « Le Sens du combat », obtient le prix de Flore 1996. « Rester vivant » et « La Poursuite du bonheur », remaniée pour l’occasion, sont réédités en un seul volume en 1997.
En 1998, il reçoit le Grand Prix national des Lettres Jeunes Talents pour l’ensemble de son oeuvre. « Interventions », recueil de textes critiques et de chroniques, et « Les Particules élémentaires« , son second roman traduit en plus de 25 langues et lauréat du prix Novembre, paraissent simultanément.
L’histoire est celle, parallèle, de deux hommes. Michel, biologiste, dénué de passion humaine et de sexualité, as de la recherche et maître en solitude ; Bruno, son demi-frère, obsédé par la quête d’un plaisir sexuel qu’il n’arrive ni à prendre ni à donner. Ils sont nés d’une même mère biologique que n’a jamais troublée l’idée de maternité mais qui, en revanche, a vécu jusqu’à la caricature les conquêtes de la femme libérée, du gauchisme friqué et du peace and love à l’américaine. Ainsi ont-ils été élevés, en s’ignorant l’un l’autre, par des grands-mères d’ancien régime qui, à défaut de les ouvrir au monde, s’efforcèrent de les en protéger.
Sous couvert de fiction, Michel Houellebecq tente de nous faire comprendre la débâcle de notre modernité, la dérive de notre Occident épuisé. Pour cela, il mobilise tous les outils de son savoir scientifique, métaphysique, philosophique, sociologique, politique…
Il épouse Marie-Pierre la même année. En 1999, il co-adapte avec Philippe Harel « Extension du domaine de la lutte » au cinéma, que ce dernier met en scène. Il publie un nouveau recueil de poèmes, « Renaissance ». Au printemps 2000 sort sous le label Tricatel un disque, « Présence humaine », où ses poèmes, lus par lui-même, sont mis en musique par Bertrand Burgalat. Lanzarote, un recueil-coffret de textes et de photographies, paraît chez Flammarion au printemps 2000. Michel Houellebecq réside pendant quelques années en Irlande,dans une maison baptisée » The White House », dans le comté de Cork, où il a écrit en grande partie son troisième roman, « Plateforme« .
Le bonheur, si je veux… http://www.dailymotion.com/video/xep9co_michel-houellebecq-plateforme_creation#.UZHpHGBzGlg
Plateforme débute à la manière d’une comédie noire où, par petites touches souvent hilarantes, Houellebecq cerne son héros. Désabusé, cynique, individu solitaire, pur produit de la social-démocratie libérale, mais sceptique quant à la religion des droits de l’homme, Michel va connaître une double révélation au cours de son voyage organisé où il fréquente bars à hôtesses et autres bordels locaux. D’abord, le tourisme sexuel lui apparaît comme “l’avenir du monde”. Ensuite, il rencontre une jeune femme, Valérie, qui travaille justement dans les voyages organisés. Entre le fonctionnaire en rupture de ban et la jeune cadre dynamique, qui s’apprête à intégrer l’ambitieux groupe Aurore visant à développer sa branche “hôtellerie de loisirs”, naît une passion amoureuse improbable et miraculeuse. Fasciné et transformé par sa double découverte, Michel devient même le bon génie de Valérie et de son collègue Jean-Yves qui, de Cuba à la Thaïlande, vont développer avec lui des circuits touristiques aptes à séduire les consommateurs occidentaux en mal d’aventures sexuelles…
Car l’Occident riche bande mou dans Plateforme. Englué dans la civilisation des loisirs, “l’homo-occidentalus”, à la fois libertaire et puritain,hédoniste et hypocrite, ne correspond pas tout à fait aux clichés rassurants avancés par les experts en marketing et autres sociologues d’entreprise. Le nomadisme des européens ne se veut pas “éthique”, leur souci de l’humanitaire et de l’authentique ne résiste pas “à l’appel immuable et doux de la chatte asiatique”. Du moins, c’est ce que pense notre ingénieux trio. Fort de ces certitudes, ils vont ensemble concevoir une plate-forme programmatique propre à révolutionner l’industrie touristique. Les riches blancs s’ennuient avec leurs pauvres fantasmes quand, dans les pays pauvres, des millions de personnes “n’ont plus rien à vendre que leur corps et leur sexualité intacte” ? Voilà bien une situation d’échange idéale et un nouveau marché qui promet d’être juteux.
Il s’installe ensuite en Espagne.
Là, il écrit « La possibilité d’une île« , qui paraît le 31 août 2005, en France et presque simultanément en Allemagne, Italie, Espagne…
http://www.telerama.fr/livres/la-possibilite-d-une-ile,62137.php
Ce livre obtient le Prix Interallié 2005.
Ce roman raconte comment Daniel, et d’autres humains, entreprennent d’échapper à cette mortalité annoncée, à cette insignifiance de l’individu devant la reproduction qui investit sur les jeunes et leur jouissance à promouvoir à l’infini, à cette perspective de la naissance en fin de compte, à ce changement d’état radical, en devenant des néo-humains, des immortels.Cette fiction du clonage met en lumière un autre rapport à la mort, comme une sorte de possibilité de se sevrer de la dictature nazie de cet amour physique ancré dans un jeunisme triomphant et leurs corps cruels pour les générations rangées des voitures par eux. Une sorte de repli dans la possibilité d’une île, dans de l’irrenonçable par-delà le renoncement.
« Quant aux droits de l’homme, bien évidemment, je n’en avais rien à foutre ; c’est à peine si je parvenais à m’intéresser aux droits de ma queue. »
Ennemis publics, l’ouvrage commun que publient Michel Houellebecq et Bernard-Henri Lévy. Véritable bombe médiatique de la rentrée littéraire 2008, ce livre, qui réunit six mois de lettres échangées entre les deux « pipolintellos » soi-disant « haïs, vomis » par les Français, évoque sujets de société et questions intimes avec la même netteté. Beaucoup d’effets de manches et autres ronds de jambe, on retiendra néanmoins certaines illuminations tel le début de la lettre de Michel:
« Cher Bernard-Henri Lévy,
Tout, comme on dit, nous sépare – à l’exception d’un point, fondamental : nous sommes l’un comme l’autre des individus assez méprisables.
Spécialiste des coups foireux et des pantalonnades médiatiques, vous déshonorez jusqu’aux chemises blanches que vous portez. Intime des puissants, baignant depuis l’enfance dans une richesse obscène, vous êtes emblématique de ce que certains magazines un peu bas de gamme comme Marianne continuent d’appeler la « gauche-caviar », et que les périodistes allemands nomment plus finement la Toskana-Fraktion. Philosophe sans pensée, mais non sans relations, vous êtes en outre l’auteur du film le plus ridicule de l’histoire du cinéma.
Nihiliste, réactionnaire, cynique, raciste et misogyne honteux : ce serait me faire trop d’honneur que de me ranger dans la peu ragoûtante famille des anarchistes de droite ; fondamentalement, je ne suis qu’un beauf. Auteur plat, sans style, je n’ai accédé à la notoriété littéraire que par suite d’une invraisemblable faute de goût commise, il y a quelques années, par des critiques déboussolés. Mes provocations poussives ont depuis, heureusement, fini par lasser.
A nous deux, nous symbolisons parfaitement l’effroyable avachissement de la culture et de l’intelligence françaises, récemment pointé, avec sévérité mais justesse, par le magazine Time. Nous n’avons en rien contribué au renouveau de la scène électro française. Nous ne sommes même pas crédités au générique deRatatouille. Les conditions du débat sont réunies. »
Le 4 septembre 2010 parait « La carte et le territoire » aux éditions Flammarion. En novembre 2010, Michel Houellebecq se voit attribuer le Prix Goncourt pour cette oeuvre.
Fin 2012, en pleine polémique d’exil fiscal, il annonça son retour en France. Installé dans son nouvel appartement parisien, il invoqua dans une interview les raisons de son retour, en grande partie parce qu’il en avait marre des langues étrangères. Il nia tout geste politique concernant son départ de la côte sud-ouest de l’Irlande, mais il dit qu’il pouvait être interprété comme tel « puisque ça prouve que le niveau d’imposition n’est pas suffisamment fort pour décourager tout le monde ».
L’annonce faite de la publication de son recueil de poèmes Configuration du dernier rivage en avril 2013, il exprima sa volonté de continuer à écrire en ces mots : « la vie ne m’intéresse pas assez pour que je puisse me passer d’écrire ».
Antipathique, apatride volontaire, rétif à toute concession « mondaine », méprisant face aux journalistes, volontiers misanthrope, sans talent littéraire véritable (disent-ils) mais bénéficiant d’un succès libraire systématiquement impressionnant, et par ailleurs estimé comme étant (facho)réac’, Houellebecq n’a, a priori, aucun atout pour éviter les torrents de polémiques à chacune de ses parutions… D’autant plus qu’il ne fait rien pour les éviter, et semble même s’en délecter…
http://www.nouveau-reac.org/textes/michel-houellebecq-le-conservatisme-source-de-progres/
Conscient que la vie des hommes se déroule dans un environnement biologique, technique et sentimental (c’est-à-dire très accessoirement politique), conscient qu’elle a pour objectif la poursuite d’objectifs privés, il aura pour toute conviction politique marquée un rejet instinctif.
L’homme révolté, le résistant, le patriote, le fauteur de troubles lui apparaîtront avant tout comme des individus méprisables, mus par la stupidité, la vanité et le désir de violence.
Contrairement au réactionnaire, le conservateur n’aura ainsi ni héros ni martyrs ; s’il ne sauve personne, il ne fera, non plus, aucune victime ; il n’aura, en résumé, rien de particulièrement héroïque ; mais il sera, c’est un de ses charmes, un individu très peu dangereux.
Extraits Plateforme;
— C’est vrai, dans l’ensemble, les musulmans c’est pas terrible… » émis-je avec embarras. Je pris mon sac de voyage, ouvris la portière. « Je pense que vous vous en sortirez… » marmonnai-je sans conviction. J’eus à ce moment une espèce de vision sur les flux migratoires comme des vaisseaux sanguins qui traversaient l’Europe ; les musulmans apparaissaient comme des caillots qui se résorbaient lentement. Aïcha me regardait, dubitative. Le froid s’engouffrait dans la voiture. Intellectuellement, je parvenais à éprouver une certaine attraction pour le vagin des musulmanes. De manière un peu forcée, je souris.
J’allumai une cigarette, me calais contre les oreillers et dis : « suce-moi ». elle me regarda surprise mais posa la main sur mes couilles, approcha sa bouche. « Voilà » m’exclamai-je avec une expression triomphante. Elle s’interrompit, me regardant avec surprise.
« tu vois, je te dis « suce-moi » et tu me suces. a priori, tu n’en éprouvais pas le désir;
– non je n’y pensais pas mais ça me fait plaisir
– c’est justement ce qui est étonnant chez toi : tu aimes faire plaisir. Offrir ton corps comme un objet agréable, donner gratuitement du plaisir : voilà ce que les occidentaux ne savent plus faire. ils ont complètement perdu le sens du don. ils ont beau s’acharner, ils ne parviennent pas à ressentir le sexe comme naturel. Non seulement ils ont honte de leur propre corps, qui n’est pas à la hauteur du standard du porno, mais, pour les même raisons, ils n’épprouvent aucune attirance pour le corps de l’autre. Il est imporsible de faire l’amour sans un certain abadon, sans l’acceptaion au moins temporaire d’un état de dépendance et de de faiblesse. L’exaltation sentimentale et l’obsession sexuelle ont la même origine, toutes deux procèdent d’un oubli partiel de soi ; ce n’est pas un domaine dans lequel on puisse se réaliser sans se perdre. Nous sommes devenus froids, rationnels, extrêmement conscients de notre existence individuelle et de nos droits; nous souhaitons avant tout oublier l’aliénation et la dépendance ; en outre nous somme obsédés par la santé et l’hygiène : ce ne sont vraiment pas les conditions idéales pour faire l’amour. Au point où nous en sommes, la professionnalisation de la sexualité en Occident est devenue inéductable.Evidemment il y a aussi le SM. C’est un univers purement cérébral, avec des règles précises, un accord préétabli. Les masochistes ne s’interessent qu’à leurs propres sensations, ils essayent de voir jusqu’où ils pourront aller dans la douleur, un peu comme les sportifs de l’extrème. Les sadiques, c’est autre chose, ils vont de toute façon aussi loin que possible, ils ont le désir de détruire : s’ils pouvaient mutiler ou tuer, ils le feraient.
– je n’ai même pas envie d’y repenser, dit-elle en frissonnant ; çame dégoûte vraiment.
– c’est parce que tu es restée sexuelle, animale. Tu es normale en fait, tu ne ressembles pas vraiment aux occidentales. Le SM organisé, avec des règles, ne peut concerner que des gens cultivés, cérébraux, qui ont perdu toute attirance pour les sexe /…/
– Bon… elle sourit. « je peux continuer à te sucer tout de même ? »
Il y a un système basé sur la domination, l’argent et la peur – un système plutôt masculin, appelons-le Mars; il y a un système féminin basé sur la séduction et le sexe, appelons-le Vénus.
Et c’est tout.
Est-il vraiment possible de vivre et de croire qu’il n’y a rien d’autre? Avec les réalistes de la fin du XIXe siècle, Maupassant a cru qu’il n’y avait rien d’autre; et ceci l’a conduit jusqu’à la folie furieuse.
Dans un système sexuel où l’adultère est prohibé, chacun réussit plus ou moins à trouver son compagnon de lit.
En système économique parfaitement libéral, certains accumulent des fortunes considérables; d’autres croupissent dans le chômage et la misère.
En système sexuel parfaitement libéral, certains ont une vie érotique variée et excitante; d’autres sont réduits à la masturbation et la solitude.
Le libéralisme économique, c’est l’extension du domaine de la lutte, son extension à tous les âges de la vie et à toutes les classes de la société. De même, le libéralisme sexuel, c’est l’extension du domaine de la lutte, son extension à tous les âges de la vie et à toutes les classes de la société.
De toute façon, il est déjà trop tard. L’insuccès sexuel, Raphaël, que tu as connu depuis ton adolescence, la frustration qui te poursuit depuis l’âge de treize ans laisseront en toi une trace ineffaçable.
À supposer même que tu puisses dorénavant avoir des femmes – ce que, très franchement, je ne crois pas – cela ne suffira pas ; plus rien ne suffira jamais. Tu resteras toujours orphelin de ces amours adolescentes que tu n’as pas connues.
En toi, la blessure est déjà douloureuse ; elle le deviendra de plus en plus. Une amertume atroce, sans rémission, finira par emplir ton coeur. Il n’y aura pour toi ni rédemption, ni délivrance. C’est ainsi.
– Une des caractéristiques les plus étonnantes de l’amour physique est quand même cette sensation d’intimité qu’il procure, dès qu’il s’accompagne d’un minimum de sympathie mutuelle. Dès les premières minutes on passe de vous au tu, et il me semble que l’amante, même rencontrée la veille, ait droit à certaines confidences qu’on ne ferait à aucune autre personne humaine.
« Je n’ai pas tellement d’estime pour l’autobiographie, guère plus pour le journal ; je les considère comme des formes primitives de la création, incapables de s’élever à la vérité du roman, incapables aussi de rejoindre le niveau de l’émotion pure qui est celui de la poésie. »
Blog de Michel Houellebecq, 2005.
« Nous pouvons voler, nous pouvons respirer sous l’eau, nous avons inventé des appareils électro-ménagers et l’ordinateur. Le problème commence avec le corps humain. »
« J’ai un rêve », 2000.
« Au milieu de la grande barbarie naturelle, les êtres humains ont parfois (rarement) pu créer de petites places chaudes irradiées par l’amour. De petits espaces clos, réservés, où régnaient l’intersubjectivité et l’amour. »
« Les particules élémentaires », 1998.
« … la souffrance spécifique qui s’attache au fait d’être artiste : cette incapacité à être vraiment heureux ou malheureux ; à ressentir vraiment la haine, le désespoir, l’exultation ou l’amour ; cette espèce de filtre esthétique qui s’imposait, sans rémission possible, entre l’artiste et le monde. »
« Plateforme », 2001.
« Je ne jalouse pas ces pompeux imbéciles
Qui s’extasient devant le terrier d’un lapin
Car la nature est laide, ennuyeuse et hostile ;
Elle n’a aucun message à transmettre aux humains. »
« La poursuite du bonheur », 1992.
« La démocratie et la liberté, c’est le mal »
Dans une émission diffusée sur Canal +.
« Je n’ai jamais aimé la manière méprisante et suspicieuse dont, en France, on parle des sectes. Et j’ai toujours pensé que la phrase banale selon laquelle la religion est une secte qui a réussi correspond simplement à la vérité. »
Entretien avec Jérome Garcin pour Le Monde, 2005.
« Les gens s’imaginent être des individus alors qu’ils sont des produits. »
Technikart, dialogue entre Guillaume Dustan et Michel Houellebecq, 2005.
“Lorsque la sexualité disparaît, c’est le corps de l’autre qui apparaît, dans sa présence vaguement hostile; ce sont les bruits, les mouvements, les odeurs; et la présence même de ce corps qu’on ne peut plus toucher, ni sanctifier par le contact, devient peu à peu une gêne; tout cela, malheureusement, est connu. La disparition de la tendresse suit toujours de près celle de l’érotisme. Il n’y a pas de relation épurée, d’union supérieure des âmes, ni quoi que ce soit qui puisse y ressembler, ou même l’évoquer sur un mode allusif. Quand l’amour physique disparaît, tout disparaît; un agacement morne, sans profondeur, vient remplir la succession des jours. Et, sur l’amour physique, je ne me faisais guère d’illusions. Jeunesse,beauté, force : les critères de l’amour physique sont exactement les mêmes que ceux du nazisme. En résumé, j’étais dans un beau merdier.“
La Possibilité d’une île, Michel Houellebecq
J’ai un rêve
par Michel Houellebecq » Que les choses soient claires : la vie, telle qu’elle est, n’est pas mauvaise. Nous avons accompli certains de nos rêves. Nous pouvons voler, nous pouvons respirer sous l’eau, nous avons inventé des appareils électro-ménagers et l’ordinateur. Le problème commence avec le corps humain. Le cerveau par exemple est un organe d’une grande richesse et les gens meurent sans avoir exploité toutes ses possibilités. Non parce que la tête est trop grosse mais parce que la vie est trop courte. Nous vieillissons rapidement et nous disparaissons. Pourquoi ? Nous ne savons pas, et si nous savions nous serions tout de même insatisfaits. C’est très simple : les êtres humains veulent vivre et pourtant ils doivent mourir. A partir de là, le premier désir est d’être immortel. Bien sûr, personne ne sait à quoi ressemble la vie éternelle, mais nous pouvons l’imaginer.
Dans mon rêve de vie éternelle il ne se passe pas grand chose. Peut être que je vis dans une grotte. Oui, j’aime les grottes, il fait sombre et frais et je me sens en sécurité à l’intérieur. Souvent je me demande s’il y a eu de réels progrès depuis la vie dans les grottes. Lorsque je suis assis là, écoutant calmement le bruit de la mer, entouré de créatures amicales, je pense à ce que je voudrais enlever dans ce monde : les puces, les oiseaux de proie, l’argent et le travail. Probablement aussi les films pornos et la croyance en dieu. De temps à autre, je décide d’arrêter de fumer. A la place des cigarettes, je préfère prendre des pilules qui ont un effet stimulant analogue sur mon cerveau. De plus, j’ai une grande variété de drogues synthétiques à ma disposition, chacune de ces drogues développe ma sensibilité. Je suis alors capable d’entendre des ultra-sons, de voir les rayons ultra-violets – et d’autres choses que j’ai du mal à comprendre.
Je suis un peu différent à présent, pas seulement plus jeune, mon corps est transformé, j’ai quatre jambes, c’est chouette, je me tiens beaucoup mieux debout, solidement relié à la terre. Même quand je bois trop, je n’ai pas peur de tomber. Contrairement à l’homme primitif, le kangourou et le pingouin, rien ne m’ébranle facilement. Et il y a plus : je n’ai plus besoin de vêtements. Les vêtement ne sont pas pratiques, quels que soient leur forme, ils gênent la respiration de la peau. Nu je me sens plus libre. Le plus important, c’est que je ne suis ni mâle ni femelle – un hermaphrodite. Avant je ne pouvais qu’imaginer la sensation de la pénétration, n’étant pas homosexuel. Maintenant j’en ai quelque idée, c’est une expérience fondamentale que j’attendais depuis longtemps. Je n’ai plus rien à espérer. Certains lecteurs se demanderont si la vie, dans la plus belle des grottes avec les plus adorables des créatures, ne finirait pas par être ennuyeuse après des milliers d’années (voire des centaines de milliers d’années dans mon cas). Non, je ne crois pas, en tout cas pas pour moi. Je ne trouve pas ennuyeux de répéter à l’infini ce que j’aime faire, j’irais même plus loin : le vrai bonheur est la répétition, dans le perpétuel recommencement de la même chose, comme dans la danse et la musique, par exemple Autobahn de Krafwerk. Il en va de même pour le sexe : quand c’est terminé, nous voudrions recommencer. Le bonheur est une accoutumance, une accoutumance qui peut être concentrée dans des trucs chimiques où dans des êtres humains, quand j’ai mes pilules ou mes amis, je n’ai plus besoin de rien. L’ennui est l’alternative du bonheur, le quotidien journalier, les nouveaux produits, les informations – même présentées de façon attractive. J’ai trouvé le bonheur dans ma grotte, je n’ai plus rien à espérer, je prends un bain quand je veux. Dehors il fait chaud et clair, je pense un peu à l’Allemagne où des gens ont vécus ensemble dans des petits espaces et je suis heureux que le paradis ne connaissent pas la surpopulation. Les gens sont libres de choisir leur tombeau, ils roulent autant qu’ils veulent.
J’ouvre mes yeux et constate que mon rêve est plutôt superficiel. J’allume une nouvelle cigarette, mâchouille le filtre, en réalité il n’y a pas d’harmonie avec l’univers. Dans les moments de bonheur, par exemple en contemplant un beau paysage, je sais instantanément que je n’en fais pas partie, le monde m’apparaît comme quelque chose d’étrange, je ne connais aucun endroit où je puisse me sentir chez moi. Dieu, lui-même ne peut résoudre ce problème, d’ailleurs je ne crois pas en dieu, il n’est pas nécessaire, ni ici ni au paradis. Je crois en l’amour, c’est la seule chose valable que nous possédions, mieux qu’un programme de fitness, mieux que le sport. Peut être qu’un jour mon rêve d’éternité se réalisera, je serai alors une créature avec des jambes, des ailes ou des tentacules, peut être ailleurs. Contrairement à la plupart des gens, je ne crains pas la mort, en vieillissant, je redécouvre ma jeunesse, longtemps oubliée et de temps à autre lorsque les choses vont mal, je me carapace confortablement dans mon travail. Mes livres me garantissent déjà une forme d’immortalité. »
Entretien avec Catherine Argand pour l’Express… 1998
Vous appartiendriez à une génération d’orphelins?
M.H. Une génération d’enfants élevés hors de toute autorité. Cette attitude est encore plus marquée à la génération suivante. J’ai rencontré récemment des lycéens et je les ai trouvés gentils, moraux et humanitaires.
Vous vous sentez moral, gentil et humanitaire?
M.H. Oui, mon admiration naturelle va à la bonté. Je ne mets rien au-dessus, ni l’intelligence, ni le talent, rien.
Votre écriture mêle le cru et le pathétique, le cinglant et le sans-voix. Comment qualifier ce style?
M.H. Ce n’est pas à moi de le faire. Ce qui est certain, c’est que j’aime l’absurdité et l’insolence. Pour le reste, je continue de croire ce que j’écrivais dans Rester vivant:
« Une originalité se dégagera forcément de la somme de vos défauts. Ne vous en préoccupez pas. Dites simplement la vérité. »
L’être ne serait que déterminisme?
M.H. Je crois que les actes de liberté, comme les transformations brutales et profondes dans la manière d’appréhender la vie, sont rares. Les circonstances jouent excessivement et l’on a tort de croire le contraire. Prenez ce que l’on appelle l’activité de substitution. Bruno à un moment donné se met à écrire. Ce n’est pas un acte libre. Ce comportement hors de propos est fréquent dans les situations qui impliquent une frustration ou un conflit.
De la même façon vous expliquez l’absence de désir chez Michel par l’absence de contact avec sa mère…
M.H. L’étude du comportement des animaux a prouvé que la privation de contact avec la mère produisait de très graves perturbations du comportement sexuel chez l’adulte, en particulier une inhibition de la séduction. C’est irréfutable.
Peindre des personnages, expliquer des mécanismes, mettre sur la table l’état des connaissances en physique-chimie: n’est-ce pas trop pour un seul homme?
M.H. Le triomphe du scientisme a confisqué au roman le droit naturel d’être un lieu de débats et de déchirements philosophiques. Il y aurait d’un côté la science, le sérieux, la connaissance, le réel et, de l’autre, la littérature, son élégance, sa gratuité, ses jeux formels. C’est pour cela, je crois, que le roman est devenu le lieu de l’écriture pour l’écriture. Comme s’il ne lui restait que ça. Je ne suis pas d’accord et, pour tenir le coup, je me répète souvent cette phrase de Schopenhauer: « La première – et pratiquement la seule – condition d’un bon style, c’est d’avoir quelque chose à dire. »
En l’occurrence?
M.H. Rendre compte, constituer un témoignage sur la situation mentale de l’être humain au moment où le livre a été écrit. Si le roman n’arrive pas à intégrer l’état des connaissances, il devient un pur exercice de style.
Rendre compte, ce serait le devoir de l’art?
M.H. Oui, et c’est une tâche plus difficile qu’il n’y paraît. Aujourd’hui, les adultes lisent des livres de vulgarisation scientifique pour se faire une idée du monde tandis que les adolescents écrivent des poèmes pour essayer de l’exprimer. C’est tout cela qu’il faut faire entrer dans le roman.
(…)
Seriez-vous eugéniste?
M.H. Oui, dans le sens positif. Il est clair qu’il est immoral d’empêcher quelqu’un de se reproduire quel que soit son état. Mais il est très moral de prendre un ?uf constitué et de lui ôter les défauts génétiques qui risquent de lui faire perdre la vie. Il y a dans l’eugénisme le pire et le meilleur. Le pire, ce sont les nazis qui, parce qu’ils n’arrivaient pas à intervenir sur le code génétique, ont tué. Le meilleur, c’est le Téléthon qui essaye de guérir ceux qui sont atteints d’un gène néfaste.
Savez-vous que votre roman risque de provoquer des réactions violentes? Certains l’aimeront, d’autres le haïront. Ils diront, par exemple, qu’en rationalisant tous les actes de vos personnages, vous vous conduisez de manière totalitaire…
M.H. Je ne suis pas plus totalitaire que Kant. La vérité est toujours totalitaire dans la mesure où elle affirme que les choses ne relèvent pas de l’opinion. J’évolue entre deux absolus. D’un côté celui de la science et de sa méthode. Le plaisir est un mécanisme avéré, récurrent et descriptible, l’apparition d’une option hédoniste-libidinale dans les années 70 un fait historique, etc. L’autre absolu auquel je crois, c’est la morale. Une morale unique et universelle qui ne dépend d’aucun facteur historique, économique, sociologique ou culturel. Le Bien et le Mal existent, je ne fais preuve d’aucun relativisme éthique, je crois aux catégories kantiennes.
Seriez-vous manichéen?
M.H. Complètement! Et c’est peut-être pour cela que j’écris des romans, pour calmer mon manichéisme.
Comment?
M.H. Tout personnage un peu développé devient complexe, ambivalent. Prenez l’un des personnages du roman, David, membre d’une secte satanique. Si j’avais continué à le fréquenter, il aurait fini par devenir pathétique. La tolérance est une pente naturelle du roman. Plus on avance dans un récit, plus on trouve ses personnages compréhensibles. Un romancier peut trouver des excuses à tout. Je ne veux pas.
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