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Jean Anouilh

Si Anouilh est un auteur à la fois célèbre et inclassable, c’est qu’il s’est toujours placé à la marge. Les classifications l’assomment. Âpre et véhément, alliant très subtilement le cocasse et le douloureux, le romanesque et le fangeux, sachant être comique et dramatique à la fois, il subit aujourd’hui un étrange et inquiétant purgatoire. La raison de cet ostracisme parait plus politique qu’esthétique. Anouilh est un auteur estampillé « de droite ».  Toute une partie de l’intelligentsia ne lui pardonnera pas, notamment la scène subventionnée, qui s’évertue depuis à ne jamais penser à lui. 

Réticent devant la quête du confort à tout prix, Anouilh déteste l’évolution des mœurs et de la société vers un égalitarisme de surface qui, à ses yeux, n’abolit les injustices présentes que pour leur substituer une autre tyrannie, la créature humaine étant ainsi faite qu’il y a aura toujours des dominants et des dominés.Un pessimisme fondamental se dégage de ses pièces, dans lesquelles la pureté et la tendresse, quand elles existent, sont court-circuitées par la médiocrité et l’avilissement.  Les hommes seuls sont accusés, pour leur hypocrisie, leur mauvaise foi et leur lâcheté généralisée (quelle que soit leur classe sociale), de salir délibérément l’esprit d’enfance que quelques irréductibles voués au pire essaient de sauvegarder envers et contre tout. Ses qualités de dramaturge sont mises au service d’une détestation de toutes les hypocrisies.

Jean Anouilh classa ses pièces par thèmes : grinçantes, noires, roses, brillantes, ou costumées dans un mélange détonant de haine désopilante, de tendresse amère et d’égoïsme désintéressé. Avec le temps, son oeuvre devient de plus en plus teintée de noirceur. Libre de tout engagement politique marqué et de tout fanatisme, Anouilh a toujours été doté — malgré des blessures qui furent source d’amertume — d’une vive sensibilité aux êtres et d’un profond sens moral. Au-delà des thèmes, de l’outrance, ce théâtre qui réjouit le spectateur se réjouit d’abord du lecteur. On lit Anouilh avec bonheur parce que l’auteur a la gourmandise des situations et la formule qui mouche prête à jaillir.

« Je n’ai pas de biographie et je m’en félicite »

Né le 23 juin 1910 à Bordeaux, est arrivé à Paris à huit ans et a fait ses études à l’École Colbert puis au Lycée Chaptal. À cette zone d’ombre, il faut ajouter le mystère sur sa naissance – si mystère il y a – signalé par sa fille Caroline dans son ouvrage Drôle de père . ANOUILH a en effet révélé à sa fille qu’il avait des doutes sur son père officiel quant à la qualité de géniteur de ce dernier.

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Il a toujours conservé le souvenir – il avait 4 ans – au moment de la mobilisation de 1914, d’un monsieur très beau et très chic venu faire ses adieux à sa mère, qui le prit dans ses bras, le serra contre sa poitrine et versa une larme. Or, il ne s’agissait pas de son père officiel mais d’un admirateur de sa maman à laquelle il faisait de courtes et fréquentes visites. Rien n’ayant été avoué ni prouvé, on doit se contenter de savoir que la mère d’ANOUILH, Marie-Magdeleine était pianiste, et son père tailleur. On trouvera cette anecdote sous la forme théâtrale dans L’Arrestation. Le héros sait que le seigneur du village est son véritable père et qu’il n’est pas le fils du tailleur, époux de sa mère, qui lui a donné son nom.

Indépendamment de son talent et de l’importance de son œuvre, ce côté secret« Le public est invité à la première, ma vie privée est mon affaire personnelle »n’est peut-être pas étranger au nombre d’ouvrages qui lui ont été consacrés (une vingtaine à ce jour, seul Sacha GUITRY le dépasse dans ce domaine).Il avait classé son théâtre en : pièces roses, pièces noires, pièces brillantes, pièces grinçantes, pièces costumées, pièces baroques, pièces farceuses, pièces secrètes.

Après des études avortées à la Faculté de Droit, il décide de travailler afin de ne pas rester à la charge de son père, qui n’en a pas les moyens. Cette notion de petit pauvre sera l’un des piliers de son œuvre, et débouchera sur la haine de classe. « C’était un solitaire qui était né giflé » (Pierre MARCABRU). Il se plonge alors dans les petites annonces où il relève que les Grands Magasins du Louvre recherchent des collaborateurs diplômés du bac ou du brevet supérieur. Il se présente et est engagé au bureau des réclamations. Il s’agit de vérifier le bon droit des réclamants et, si possible, leur rendre justice. C’est là qu’il reçoit une carte de visite: « La Vicomtesse d’Eristal n’a pas reçu son balai mécanique ». Cette phrase sibylline constituera le titre de son ouvrage. Il ne reste qu’un mois aux Magasins du Louvre, jugeant alors posséder assez d’argent pour voir venir, au grand regret de son chef de service qui lui dit : « C’est dommage, vous aviez l’étoffe d’un bon réclamateur ».

 

Grâce, à nouveau aux petites annonces, il est engagé en qualité de concepteur-rédacteur dans une maison de publicité où il rencontre PRÉVERT, Jean AURENCHE et Georges NEVEUX, lequel est également secrétaire-général de la Comédie des Champs-Élysées, dirigée par JOUVET. NEVEUX est recruté par la Metro Goldwyn Mayer en qualité de scénariste et, quittant la publicité, recommande vivement ANOUILH à JOUVET pour lui succéder. ANOUILH est engagé par ce dernier pour lire les manuscrits, établir sur chacun une note de lecture, et composer les salles de générales, ce qui donnât lieu à des gaffes mémorables, car il ne connaissait personne à Paris. Ses rapports avec JOUVET furent toujours tendus, sans qu’on en sache véritablement les raisons. JOUVET avait d’ailleurs baptisé ANOUILH « le miteux ». Auparavant, alors qu’il était toujours dans la publicité, il avait écrit son premier texte de théâtre Humulus le muet, avec la collaboration de Jean AURENCHE qui restera toujours, avec Georges NEVEUX, son ami le plus cher. C’est une farce, un lever de rideau de la longueur d’un sketch. Humulus est un petit jeune homme muet qui ne peut prononcer qu’un mot par jour. Étant amoureux d’Hélène, il reste silencieux pendant un mois pour faire provision de mots, puis il fait sa déclaration – 30 mots, pas plus – Hélène alors, sort un cornet acoustique de son sac et lui demande de répéter, car elle est sourde.

Débuts d’auteur dramatique

Il quitte JOUVET en 1930, avec grand soulagement, appelé à faire son service sous les drapeaux. Il est assez vite déclaré «  réformé temporaire » et, rendu à la vie civile, apprend que sa pièce L’Hermine, sa première vraie pièce avait conquis d’emblée Pierre FRESNAY, lequel la crée le 27 avril 1932 au théâtre de l’Œuvre dans une mise en scène de Paulette PAX. FRESNAY, qui était déjà un acteur important, avait accepté de jouer au pourcentage, pourcentage calculé uniquement au-dessus d’un chiffre de recettes très important, qui ne fut jamais atteint. Autant dire qu’il jouait pour rien. La pièce connut 37 représentations. C’est l’histoire de Franz, jeune homme pauvre, tombé amoureux d’une jeune aristocrate, Monime, qui dépend entièrement de sa tante, vieille duchesse égoïste et odieuse qui n’acceptera jamais que sa nièce épouse un roturier. Monime deviendra la maîtresse de Franz. Pour sortir de leur misère matérielle et morale, Franz ne trouve qu’une solution: tuer la vieille duchesse. Mais Monime, horrifiée par cet acte, renie Franz, lequel désespéré, avoue son crime, qui rappelle celui de Raskolnikov dans Crime et châtiment. La pièce révèle les dons dramatiques exceptionnels de l’auteur, ce qui sera aisément reconnu par la critique.

L'Hermine de Jean Anouilh

En 1932, il écrit Jezabel, pièce qu’il ne fera jamais jouer, particulièrement sordide, et qui évoque les rapports mère-fils qu’on retrouvera souvent dans son œuvre. L’année suivante, l’Athénée (Direction JOUVET, ne l’oublions pas) monte Mandarine, pièce du « miteux », créée le 17 janvier 1933. L’action se situe sur une plage. Bérénice, jeune fille tendre et un peu folle, fait connaissance de Mandarine, jeune gigolo que se disputent les dames mûres. Bérénice va tenter de ramener Mandarine dans le droit chemin de la morale, et d’en faire un homme courageux et honnête, ce qu’il promet d’essayer. La pièce ne connut que quelques représentations et la presse y dénoncera « l’arbitraire » (P. AUDIAT -Paris-Soir), « l’artifice du vaudeville » (P. BRISSON – Le Temps), « une trop grande candeur dans l’immoralité » (J. MARTEAUX – Les Débats), mais y reconnaît la naissance d’un véritable tempérament dramatique.

Jean-Marie-Lucien-Pierre Anouilh est le fils de François Anouilh, tailleur et Marie-Magdeleine Soulue, professeur de piano et pianiste d’orchestre à Arcachon. C’est en 1923 au lycée Chaptal que son amour pour le théâtre se manifeste. C’est également là qu’il fera la connaissance de Jean-Louis Barrault. Des rencontres littéraires essentielles interviennent. Tout d’abord, vers 1926, celle de Jean Cocteau avec Les Mariés de la tour Eiffel. Jean Anouilh relate lui-même cette découverte en ces termes :

« J’ouvris le numéro, désœuvré, distrait, je passais les romans, homme de théâtre en puissance je méprisais déjà ces racontars et j’arrivais à la pièce dont le titre insolite m’attira. […] Dès les premières répliques quelque chose fondit en moi : un bloc de glace transparent et infranchissable qui me barrait la route. […] Jean Cocteau venait de me faire un cadeau somptueux et frivole : il venait de me donner la poésie du théâtre3. »

À cette époque, Anouilh se nourrit des lectures de Paul Claudel, Luigi Pirandello et George Bernard Shaw. Deuxième grande découverte celle de Jean Giraudoux en 1928, au poulailler de la comédie des Champs-Élysées, à travers sa pièce Siegfried, qu’Anouilh finit par apprendre par cœur.

Après avoir travaillé quelques semaines au bureau des réclamations des Grands Magasins du Louvre puis pendant deux ans dans l’agence de publicité Étienne Damour avec, entre autres, Jacques Prévert, Georges Neveux, Paul Grimault et Jean Aurenche, Anouilh, succédant à Georges Neveux, devient entre 1929 et 1930, le secrétaire général de la comédie des Champs-Élysées, que dirige alors Louis Jouvet. Anouilh est chargé de rédiger des notes sur les manuscrits reçus et de composer la salle pour les générales. La collaboration entre Anouilh et Jouvet est houleuse, Jouvet sous-estimant les ambitions littéraires de son employé. Ni Anouilh lui-même, qu’il surnomme « le miteux », ni son théâtre ne trouveront grâce aux yeux de Jouvet. Après la lecture de La Sauvage, il déclare à Anouilh : « Tu comprends mon petit gars, tes personnages sont des gens avec qui on ne voudrait pas déjeuner ! »

En octobre 1931, Jean Anouilh est mobilisé et part faire son service militaire à Metz puis à Thionville. Après deux mois de service, il est réformé temporaire et revient à Paris. Anouilh vit alors, dans un atelier à Montparnasse puis dans un appartement rue de Vaugirard, meublé avec l’aide de Jouvet, avec qui il s’est provisoirement réconcilié. Il emménage avec la comédienne Monelle Valentin, qui créera entre autres le rôle-titre d’Antigone en 1944, et dont il aura une fille, Catherine, née en 1934 et qui deviendra elle aussi comédienne (elle créera la pièce que son père écrira pour elle Cécile ou l’École des pères en 1954). Le couple se sépare en 1953 et Anouilh épouse la comédienne Nicole Lançon qui deviendra sa principale collaboratrice et avec laquelle il aura trois enfants : Caroline, Nicolas et Marie-Colombe.

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Premières œuvres (1932-1936)

En 1932, Jean Anouilh fait représenter sa première pièce, Humulus le muet, écrite en collaboration avec Jean Aurenche en 1929. C’est un échec. Quelque temps après, il propose L’Hermine à Pierre Fresnay qui accepte immédiatement de la jouer. Le 26 avril 1932 a lieu la création de L’Hermine, au théâtre de l’Œuvre, mise en scène par Paulette Pax. 90 représentations seront données. L’adaptation cinématographique de L’Hermine lui procure 17 000 francs de droits qui lui permettent de faire déménager ses parents « vers la banlieue de leurs rêves ». Les deux pièces qui suivent, Mandarine, créée en 1933 au théâtre de l’Athénée, et Y’avait un prisonnier en 1935 au théâtre des Ambassadeurs (dans une mise en scène de Marie Bell), sont des échecs. Ce sont à nouveau les droits cinématographiques de Y’avait un prisonnier, acquis par la Metro Goldwyn Mayer, qui permettent à Anouilh de vivre convenablement pendant un an en Bretagne, avec Monelle Valentin et sa fille, période au cours de laquelle il retravaille La Sauvage et écrit Le Voyageur sans bagage. C’est en 1935 également que Jean Anouilh rencontre pour la première fois Roger Vitrac, avec qui il se lie d’amitié et dont il reprendra, en 1962, la pièce Victor ou les Enfants au pouvoir.

Premiers grands succès : du Voyageur sans bagage (1937) au Rendez-vous de Senlis (1941)

En 1936, Louis Jouvet, à qui Anouilh espère confier la création du Voyageur sans bagage, le « fait traîner avec des proverbes de sagesse agricole ».

Furieux lorsqu’il apprend que Jouvet préfère finalement monter Le Château de cartes de Steve Passeur, Anouilh transmet le jour même son manuscrit à Georges Pitoëff, directeur du théâtre des Mathurins. Il raconte :

« Je portai un soir ma pièce aux Mathurins des Pitoëff dont je n’avais même pas vu un spectacle. Le lendemain matin je recevais un pneumatique me demandant de passer le voir. Il m’attendait, souriant, dans un petit bureau étriqué, tout en haut du théâtre (je n’y pénètre jamais depuis, sans avoir le cœur qui bat – c’est là que j’ai été baptisé) et il me dit simplement qu’il allait monter ma pièce de suite. Puis, il me fit asseoir et se mit à me la raconter… J’étais jeune, je ricanais (intérieurement) pensant que j’avais de bonnes raisons de la connaître. Je me trompais. Je m’étais contenté de l’écrire, avec lui je la découvrais… […] Ce pauvre venait de me faire un cadeau princier : il venait de me donner le théâtre… »

Créé au le 16 février 1937 dans une mise en scène de Georges Pitoëff, Le Voyageur sans bagage est le premier grand succès d’Anouilh, avec 190 représentations. Les acteurs principaux sont Georges et Ludmilla Pitoëff. Darius Milhaud en écrit la musique de scène, sous forme d’une Suite pour violon, clarinette et piano (op.157b). Dès lors, Anouilh gardera toute sa vie une réelle affection pour les Pitoëff et notamment Georges, celui qu’Anouilh décrit comme l’« étrange Arménien dont le Tout-Paris bien pensant se moquait » et à propos duquel Jouvet avait dit « Je n’aime l’Arménien que massacré ».

En 1938, il obtient deux nouveaux succès critiques et publics avec deux pièces écrites au début des années 1930 et retravaillées à plusieurs reprises au cours des années suivantes : La Sauvage (créée le 11 janvier au théâtre des Mathurins, à nouveau dans une mise en scène de Georges Pitoëff et avec une musique de scène de Darius Milhaud) et Le Bal des voleurs (créée le 17 septembre au théâtre des Arts), pièce par laquelle Anouilh inaugure sa collaboration avec André Barsacq, qui dirige alors la compagnie des Quatre-Saisons et qui sera son principal interlocuteur et metteur en scène, pendant plus de quinze ans. L’accueil de la critique est très favorable pour ces deux pièces, reconnaissant unanimement Anouilh comme un grand dramaturge, La Sauvage générant toutefois des oppositions idéologiques plus fortes, principalement en raison de la place occupée par la religion dans la pièce. Colette écrit en 1938 :

« Un accent qui se reconnaît dès les premières répliques, une aptitude à la grandeur, la facilité, dévolue à Anouilh, de dépasser les auteurs dramatiques de sa génération, les charmes d’une fraîche matière intellectuelle, voilà bien de quoi emporter, effacer ce qu’au passage nous avons cru pouvoir nommer faiblesses.

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Cette même année 1938, Anouilh participe à la création de la revue La Nouvelle Saison avec notamment Jean-Louis Barrault, René Barjavel et Claude Schnerb, qui publieHumulus le muet (jamais publiée depuis sa création en 1932), avec des dessins de Raymond Peynet, ainsi que sa nouvelle Histoire de M. Mauvette et de la fin du monde. Toujours la même année, il rencontre Robert Brasillach (dont il demandera la grâce en 1945) « dans les coulisses, chez Pitoëff ». Anouilh décrira ainsi cette rencontre en 1955 :

« Voilà un jeune homme qui vous aime bien, et qui aime bien le théâtre, me dit Georges, vous devriez le connaître. Un gros regard étonné derrière de grosses lunettes, un sourire enfantin. Pas de choc de sympathie particulier. Mon vieux complexe devant les « intellectuels » qui vont me faire le coup du mépris. Le coup du mépris que je leur fais moi-même, aussi injustement. Le normalien répugne vaguement et fait impression, en même temps, au bachelier sans mention et sans latin que je suis. Ma méfiance inguérissable pour ceux qui ont des idées générales. Il me dit qu’il aimerait publier une de mes pièces dans son journal. Je la promets. »

En avril 1940, Anouilh est rappelé en service auxiliaire et affecté à la garnison d’Auxerre, comme secrétaire d’un commandant. Fait prisonnier en juin, il est finalement libéré grâce à l’oubli du tampon sur son livret militaire lors de son incorporation, faisant croire à son arrestation comme civil, alors qu’il se rendait à une visite médicale dans sa garnison. Anouilh rejoint alors à Paris sa femme et sa fille.

En octobre 1940, Le Bal des voleurs est repris par André Barsacq qui vient de succéder à Charles Dullin à la direction du théâtre de l’Atelier28. Suivent en l’espace de quelques mois, deux nouveaux succès pour Anouilh. Le premier, grâce à Léocadia, montée au théâtre de la Michodière par Pierre Fresnay, qui appréciait le talent d’Anouilh depuis le succès du Voyageur sans bagage28. La création a lieu le 30 novembre 1940 avec Yvonne Printemps et Pierre Fresnay dans les premiers rôles, sur une musique deFrancis Poulenc (op.106) et dans des décors et des costumes d’André Barsacq. Brasillach rappelle alors à Anouilh sa promesse et obtient la publication de Léocadia dans Je suis partout, étalée sur cinq numéros. Le second, avec Le Rendez-vous de Senlis, créé au théâtre de l’Atelier par André Barsacq le 30 janvier 1941. Les deux pièces font chacune l’objet d’environ 170 représentations.

Antigone et l’Occupation (1941-1945)

À l’été 1941, Anouilh et sa femme se réfugient à Salies-de-Béarn, où ils resteront jusqu’en février 1942 ; Anouilh y travaillera à ce qui sera sa prochaine pièce, Eurydice. Tous deux tentent de protéger Mila, femme juive d’origine russe d’André Barsacq. Ils l’hébergeront plusieurs mois dans leur appartement de l’avenue Trudaine à leur retour à Paris.

C’est en pleine Occupation allemande qu’Anouilh fait jouer deux Pièces noires, tout d’abord Eurydice, créée le 18 décembre 1941, puisAntigone, créée le 4 février 1944, toutes deux au théâtre de l’Atelier dans une mise en scène, un décor et des costumes d’André Barsacq, avec Monelle Valentin dans le rôle-titre.

Faut-il accorder une portée politique aux deux pièces et tout particulièrement à Antigone ? Anouilh n’a officiellement pris position ni pour la Collaboration ni pour la Résistance et il est vraisemblable qu’il n’ait eu, jusqu’à la création d’Antigone qu’une vague idée de ce qu’était réellement la Résistance. Pour autant, un faisceau d’éléments amènent à voir dans Antigone une forte allusion aux excès ou aux drames de la Collaboration (plus qu’à une apologie de la Résistance). Plusieurs dizaines d’années plus tard, Anouilh donne des explications allant dans ce sens. Ainsi, il écrit dans La vicomtesse d’Eristal n’a pas reçu son balai mécanique :

« Antigone, commencée d’écrire le jour des terribles affiches rouges, ne fut jouée qu’en 1944 […]. Plus perspicace, un écrivain allemand […] alerta, m’a-t-on dit, Berlin, disant qu’on jouait à Paris une pièce qui pouvait avoir un effet démoralisant sur les militaires qui s’y pressaient. »

Toujours à l’appui de cette thèse, la 4e de couverture d’Œdipe ou le Roi boiteux (écrite par Anouilh en 1978 et publiée en 1986) indique :

« L’Antigone de Sophocle, lue et relue, et que je connaissais par cœur depuis toujours, a été un choc soudain pour moi pendant la guerre, le jour des petites affiches rouges. Je l’ai ré-écrite à ma façon, avec la résonance de la tragédie que nous étions alors en train de vivre. »

Autre indice allant dans ce sens, le 14 septembre 1942, Anouilh écrit à Barsacq :

« S’il en est encore temps avant de donner Antigone, relisez le manuscrit en pensant à la censure et si vous repérez des phrases dangereuses (les affiches, le discours du chœur à la fin), envoyez-le moi. Il vaut mieux que cela ne soit pas tripatouillé sur le manuscrit qu’on enverra. »

Malgré cela, quelques critiques et résistants ont voulu voir au contraire dans Antigone une apologie de la collaboration. Parmi les faits reprochés à Anouilh à laLibération : son amitié pour Pierre Fresnay, les textes publiés dans des journaux collaborationnistes et son soutien actif à la demande de grâce en faveur de Brasillach. Parmi les ennemis d’Anouilh figuraient Armand Salacrou et le journal clandestin Les Lettres françaises qui écrivit : Antigone « est une pièce ignoble, oeuvre d’un Waffen-SS ». Anouilh restera très longtemps marqué par ces accusations, qu’il considérait comme profondément injustes.

A contrario, pour les tenants de l’interprétation anti-collaborationniste, la plus couramment répandue aujourd’huinote 4, le personnage d’Antigone, inspiré du mythe antique, mais en rupture avec la tradition de la tragédie grecque, devient l’allégorie de la Résistance s’opposant aux lois édictées par Créon / Pétain qu’elle juge iniques. Si l’allégorie est réelle, le parti de l’auteur n’était vraisemblablement, lui, acquis à aucun des deux camps.

Les « deux » premières d’Antigone, celle antérieure à la Libération de Paris le 13 février 1944, comme celle postérieure le 29 septembre 1944, furent toutes deux des succès. La pièce est jouée 226 fois en un peu moins d’un an.

À la Libération, Anouilh s’érige contre l’épuration. Tentant de sauver la tête de Robert Brasillach, au même titre que 50 personnalités dont Albert Camus, François Mauriac,Paul Valéry ou Colette, il participe activement au recueil des signatures. Anouilh n’est revenu qu’assez tardivement sur ces épisodes, qui ont toutefois constitué une réelle blessure :

« La liste inutile (on aurait eu autant de chance en la déposant au pied d’une statue de Bouddha au musée Guimet) portait, je crois me souvenir, cinquante et une signatures célèbres. Je m’honore d’en avoir décroché sept, sur une douzaine de visites. J’aurais donc fait, on me l’a assuré, un assez bon représentant en clémence — article difficile à placer entre tous, on le constate encore de nos jours, à des gens en proie à l’indifférence et à la frousse, ces deux maladies des guerres civiles. Je suis pourtant revenu vieux — si vieux que je n’ai même plus envie de dire à cause de qui et pourquoi. »

On lui a reproché d’avoir placé, sous l’Occupation, des articles dans des journaux collaborationnistes. Ces textes étaient apolitiques. On lui a encore reproché d’avoir fait circuler une pétition en faveur de Robert Brasillach. C’est oublier que Mauriac ou Camus, qu’on ne peut soupçonner de sympathie pour l’occupant, l’ont signée. Le reproche doit être ailleurs. On lui cherche décidément des noises. an

Une carrière prolifique (1945-1955)

En 1945, Anouilh contribue indirectement à la création des éditions de la Table ronde en confiant Antigone à son jeune fondateur Roland Laudenbach. L’année suivante, alors qu’Antigone est jouée à New York avec Katharine Cornell dans le rôle-titre, Roméo et Jeannette est mise en scène par André Barsacq au théâtre de l’Atelier ; il s’agit de la première pièce interprétée par Michel Bouquetqui deviendra l’acteur-fétiche d’Anouilh, mais aussi par Jean Vilar, Suzanne Flon et Maria Casarès.

Malgré cette distribution et 123 représentations, Anouilh qualifie cette pièce de four mémorable. En 1947, Anouilh s’installe en Suisse, à Chesières, près deVillars-sur-Ollon, dans le canton de Vaud. Renouant avec les Pièces roses, il écrit L’Invitation au château, montée la même année, toujours par Barsacq, et avec une musique de scène de Francis Poulenc (op.138). La pièce reste à l’affiche pendant plus d’un an, accueillie quasi-unanimement par la critique et le public réunis. Elle sera reprise plusieurs fois, notamment en 1953 avec Brigitte Bardot, qui fera ses débuts à la scène.

Par la suite, la fécondité de l’auteur ne tarit plus. La carrière d’Anouilh sera accompagnée de nombreux succès pendant une trentaine d’années. En septembre 1948, sa première pièce, Humulus le muet, qui n’avait jamais été montée, est créée au théâtre de la Cité universitaire de Paris. 1948 est aussi l’année d’une rencontre importante, celle de Jean-Denis Malclès qui deviendra son décorateur attitré jusqu’aux dernières pièces, à l’occasion de la création à la comédie des Champs-Élysées de Ardèle ou la Marguerite (classée par son auteur parmi les Pièces grinçantes) et de Épisode de la vie d’un auteur, mises en scène par Roland Piétri. C’est aussi, à l’occasion de ces deux pièces, qu’Anouilh s’éloigne du théâtre de l’Atelier et d’André Barsacq, plus orientés vers le théâtre d’avant-garde (même si Colombe en 1951 et Médée en 1953 y seront montées). En 1948, Anouilh rencontre auxcours Simon celle qui sera sa seconde épouse, Nicole Lançon. En juin 1950, c’est la naissance de Caroline, la première des trois enfants issus de son union avec Nicole.

Chaque année qui passe voit la création d’une pièce et l’écriture de la suivante : La Répétition ou l’Amour puni en 1950, Colombe en 1951, La Valse des toréadors en 1952 (qui sera reprise avec Louis de Funès en 1973), Médée (dernière collaboration avec André Barsacq) et L’Alouette en 1953, Cécile ou l’École des pères en 1954 (dont le rôle-titre est joué par la propre fille de Jean Anouilh, Catherine) et Ornifle ou le Courant d’air en 1955. Toutes sont des succès et sont accompagnées d’une réception critique plus ou moins enthousiaste, mais jamais négative.

En 1952, Anouilh s’installe avec Nicole, leurs deux enfants (Nicolas, son fils, est né en août 1952) et Catherine, sa première fille, dans une maison à Montfort-l’Amaury. À la fin de l’année 1953, Catherine se marie avec Alain Tesler, assistant réalisateur (notamment sur Deux sous de violettes et Le Rideau rouge, films dans lesquels joue Monelle Valentin et aux dialogues desquels a travaillé Jean Anouilh). Le 30 juillet 1953, Anouilh épouse Nicole en Angleterre. Leur troisième enfant naîtra deux ans plus tard. Toute la famille s’installe en 1954 à Paris, rue de Furstenberg dans le 6e arrondissement,

Controverse autour de Pauvre Bitos (1956-1958)

Créée le 11 octobre 1956 au théâtre Montparnasse-Gaston Baty, dans une mise en scène conjointe de Roland Piétri et d’Anouilh lui-même, avec notamment Michel Bouquet,Pierre Mondy et Bruno Cremer, Pauvre Bitos ou le Dîner de têtes imagine un dîner dont les protagonistes sont déguisés en personnages de la Révolution française. Le convive qui joue Robespierre, Bitos, est un ancien camarade de classe des autres convives, celui qui raflait tous les premiers prix, le seul roturier de la bande, mais également celui devenu procureur qui a requis, après la guerre, contre tous les collaborateurs ou ainsi présumés.

Anouilh dénonce ainsi à nouveau, sous la figure des excès de la Terreur, ceux de l’épuration d’après-guerre, dans un contexte français de montée de la violence en Algérie. Il règle ses comptes, en quelque sorte, avec ceux qui, dix ans plus tôt, l’accusaient d’avoir collaboré. Au-delà, la pièce est un manifeste contre tous les exercices abusifs du pouvoir, quels qu’ils soient, et les critiques contemporains s’accordent sur une vision plus intemporelle de la pièce que celle qui a prévalu à sa création.

Tandis que la générale laisse supposer un échec (silence tout au long de la pièce, quelques applaudissements à la fin, un timide rappel, fureur et bagarres à la sortie), la pièce connut un réel succès auprès du public (308 représentations). De même, dès le lendemain les critique se déchaînent, accablant Anouilh et voyant notamment dans Pauvre Bitos un pamphlet contre la Résistance. Des voix contraires s’élèvent (notamment dans la presse d’extrême-droite, mais pas seulement), certains autres journaux « comptant les points » et recensant les pour et les contre.

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Le triomphe de Becket (1959-1961)

L’année 1959 est une année importante dans la carrière de Jean Anouilh. Il reçoit le prix Dominique de la mise en scène et fait monter trois nouvelles pièces : L’Hurluberlu ou le Réactionnaire amoureux, La Petite Molière et Becket ou l’Honneur de Dieu. Fidèle à son habitude, Anouilh change plusieurs fois d’avis dans le choix des comédiens pour L’Hurluberlu et fait finalement appel à Paul Meurisse56. Les trois pièces remportent l’adhésion du public et de la critique.

Écrite en 1959, Becket ou l’Honneur de Dieu est créée au théâtre Montparnasse-Gaston Baty le 2 octobre 1959, toujours dans une mise en scène de Roland Piétri et de l’auteur lui-même, et toujours également avec des décors de Jean-Denis Malclès. Daniel Ivernel y joue le rôle de Henri II et Bruno Cremer celui de Thomas Becket. La pièce reste presque deux ans à l’affiche et fait immédiatement l’objet de reprises et de tournées. Très rapidement, elle est créée à l’étranger, notamment au Royaume-Uni et aux États-Unis, avec le même succès. En 1964, elle fait l’objet d’une adaptation cinématographique avec Peter O’Toole et Richard Burton dans les rôles principaux, avant de rentrer au répertoire de la Comédie-Française en 1971. Louée quasi-unanimement par la critique, Becket restera comme l’un des plus grands succès de Jean Anouilh.

Adaptateur et metteur en scène (1961-1967)

La création de la pièce suivante, La Grotte, est vécue comme un échec par Anouilh. Bien qu’ayant tenu l’affiche quatre mois, elle reçut en effet un accueil plutôt négatif de la critique.

Pendant les six années qui suivent, Anouilh n’écrira plus ou presque. Du moins, aucune des pièces qu’il commencera pendant cette période ne sera montée, les deux pièces qui sont créées en janvier 1962 à la comédie des Champs-Élysées, L’Orchestre et La Foire d’empoigne, ayant été écrites les années précédentes. Il se consacre principalement à la mise en scène et à des traductions et adaptations de pièces étrangères. Ainsi, en 1962, il adapte L’Amant complaisant de Graham Greene avec sa femme Nicole. La même année, il met en scène au théâtre de l’Ambigu Victor ou les Enfants au pouvoir de Roger Vitrac, créé en 1929 par Antonin Artaud et qui rencontre enfin le succès, alors que la pièce n’en avait pas réellement eu jusque là. En 1963, c’est L’Acheteuse de Stève Passeur qu’Anouilh monte à la comédie des Champs-Élysées. Puis, en 1964, Richard III deShakespeare au théâtre Montparnasse-Gaston Baty. À cette époque, Pauvre Bitos est montée à l’étranger avec des fortunes diverses : succès en Angleterre, 17 représentations seulement aux États-Unis.

À l’occasion du procès de Jacques Laurent en 1965, condamné pour offense au chef de l’État (Charles de Gaulle) en raison de son pamphlet Mauriac sous de Gaulle, Anouilh signe avec une vingtaine d’écrivains, parmi lesquels Jules Roy, Emmanuel Berl, Jean-François Revel ou son ami Marcel Aymé, une pétition contre son inculpation. L’Ordalie ou la Petite Catherine de Heilbronn de Heinrich von Kleist, qu’Anouilh traduit et monte en 1966 au théâtre Montparnasse, est un échec, qui signera la fin des adaptations et de la mise en scène des pièces des autres. Anouilh se consacrera de nouveau à l’écriture et à la mise en scène de ses propres pièces pour l’essentiel.

L’année suivante, au cours de l’été, Anouilh écrit 47 fables, dans l’esprit de celles de La Fontaine, dont certaines seront montées sous forme de spectacle de marionnettes authéâtre de la Gaité-Montparnasse en 1968 sous le titre de Chansons Bêtes. Jean Anouilh se sépare de Nicole à cette époque.

Retour au théâtre : 12 ans de succès (1968-1980)

Le 13 novembre 1968 est créée à la comédie des Champs-Élysées Le Boulanger, la Boulangère et le Petit Mitron. Tous les partenaires des succès passés (et futurs) sont là :Roland Piétri pour la mise en scène, Jean-Denis Malclès pour les décors et les costumes, Michel Bouquet dans le rôle principal (dont ce sera toutefois le dernier rôle dans une création d’Anouilh). Comme cela aura fréquemment été le cas avec Anouilh, la critique est partagée mais l’accueil du public favorable.

Les pièces se succèdent : Cher Antoine ou l’Amour raté en 1969 (avec Jacques François et Hubert Deschamps), Les Poissons rouges ou Mon père ce héros en 1970 (avecJean-Pierre Marielle et Michel Galabru). En l’espace de deux ans, Anouilh se voit descerner le prix de la Critique dramatique pour la meilleure création française (Les Poissons rouges), le prix mondial Cino del Duca pour son message « d’humanisme moderne » et le prix du Brigadier de l’Association des régisseurs de théâtre. Toujours en 1971, Anouilh entre au répertoire de la Comédie-Française à l’initiative de Pierre Dux avec Becket, jouée par Robert Hirsch et Georges Descrières. Comblé et malgré les approches de ses confrères, Anouilh refusera l’idée d’entrer à l’Académie française.

Les succès se poursuivent avec Ne réveillez pas Madame en 1971, qui tient l’affiche à la comédie des Champs-Élysées pendant presque 2 ans (600 représentations) ou Le Directeur de l’Opéra en 1972 avec Paul Meurisse. Créations et reprises alternent au théâtre Antoine, au théâtre des Mathurins et à la comédie des Champs-Élysées. En 1974, Anouilh soutient la création de la première (et unique) pièce de son gendre, Franck Hamon de Kirlavos (mari de Caroline). Bien qu’il ne vive plus à leurs côtés, Anouilh conserve des relations aussi bien avec Monelle Valentin (dont il se préoccupera de la santé jusqu’à sa mort) qu’avec Nicole Lançon, à qui il confie les mises en scène deMonsieur Barnett et de Vive Henri IV ! ou la Galigaï en 1977. Chers zoiseaux, Le Scénario et Le Nombril seront ses trois derniers plus grands succès à la fin des années 1970 et au début des années 1980.

Anouilh est à nouveau récompensé, par le Grand prix du théâtre de l’Académie française en 1980 et par le Grand prix de la Société des auteurs et compositeurs dramatiquesen 1981.

Dernières années (1980-1987)

En 1980, Anouilh est atteint d’une maladie virale qui lui détruit la thyroïde. En 1983, il est victime d’une crise cardiaque. Très affaibli, il se retire de manière définitive enSuisse, où il vit auprès d’Ursula. Ses pièces continuent à être jouées à Paris, mais Jean Anouilh ne peut plus participer à leur mise en scène. Il écrit jusqu’en 1986 ses souvenirs dans un récit autobiographique La vicomtesse d’Eristal n’a pas reçu son balai mécanique. En 1987, il reprend son scénario de Thomas More ou l’Homme libre, qui sera publié quelques mois après sa mort. Au début du mois d’octobre 1987, il entre à l’hôpital de Lausanne pour une transfusion et renoue avec son fils Nicolas, avec qui il s’était brouillé, avant de mourir le 3 octobre.

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Ce pessimisme explique sans doute les prises de position politiques de Jean Anouilh. Avec le temps, son théâtre devient de plus en plus militant. Pauvre Bitos est un brillant réquisitoire contre les procès faits aux collaborateurs après la Libération. Le thème obsède au demeurant l’auteur qui y revient à plusieurs reprises pour la plus grande satisfaction d’un public qui se sent mauvaise conscience. Cependant, au fil des pièces la charge devient de plus en plus lourde et l’ironie sombre dans la grosse farce. Chers Zoiseaux se veut une pièce contre les intellectuels de gauche, mais leurs pires ennemis auraient bien du mal à les y reconnaître. La Culotte tourne en ridicule des féministes invraisemblables. Anouilh semble avoir définitivement renié Antigone, Thérèse ou Eurydice, jeunes filles rebelles dont la pureté absolue mettait à nu la lâcheté des hommes.

Il reste que, disciple de Giraudoux ou des chansonniers montmartrois, Anouilh montre une efficacité incontestable. Habile constructeur, il fait parler à ses personnages une langue simple et vraie. Cette virtuosité technique passe souvent pour de la facilité et apparente son théâtre au théâtre de boulevard. Lui-même se qualifie de « vieux boulevardier ». Cela est vrai, certainement, pour une bonne part de sa production. Mais quelques pièces se situent ailleurs, celles où l’auteur s’est refusé toute complaisance, comme La Sauvage, Antigone ou Pauvre Bitos. Auteur dramatique à succès, Anouilh a beaucoup contribué à faire connaître des débutants qui se nommaient Ionesco, Beckett ou Dubillard. Sans doute a-t-il avec eux des affinités plus profondes qu’on ne le pourrait croire. Lorsque le temps aura débarrassé son théâtre des scories boulevardières ou politiques, on situera mieux Anouilh, entre les virtuosités de Giraudoux et le désespoir des absurdes.

Chritophe Mory pour Salon littéraire:

Aujourd’hui encore, il souffre du mépris que les intellectuels donnent au mot boulevard.Le théâtre de boulevard, on le laisse à la plèbe ; celle-là même que l’auteur déteste parce qu’il sait qu’elle est capable du pire comme la Révolution ou le silence devant l’Épuration. Mais le boulevard est l’avenue du triomphe quand les théâtres confidentiels (ou les théâtres du service public) forment le « labyrinthe sournois des rues obscures » de l’estime. Le boulevard est au théâtre ce que le polard est au roman : un genre facile ( !) diffusé au plus grand nombre, d’abord immédiat et de recettes parfois considérables. La facilité en somme. Les ovations populaires teintent l’argent d’une couleur vulgaire.

Oui, il y a chez Anouilh un côté boulevardier avec des phrases comme : « Les femmes, c’est comme le potage, il ne faut pas les laisser refroidir. » On pourrait en dire autant avec le soufflé au fromage. Mais qui parle ? Toujours le type vulgaire et drôle (parce que décalé) qui vient apporter au drame sa gouaille et le pétard déclenchant les rires des secrétaires.

Boulevardier parce qu’empreint de vaudeville ? Une « comédie légère, divertissante, fertile en intrigue et en rebondissements », définit le Robert. L’auteur du XXe siècle a deux voies : la comédie policière ou l’intrigue de mœurs. La première est anglo-saxonne, la seconde est bien française. Anouilh est français. Il va donc placer sur le plateau des histoires de fesses et de femmes, d’hommes légers et de maîtresses en mal de revanches ; abandonnant les épouses à leur boudoir et à leur dignité comme la Comtesse des Noces de Figaro. S’il tue le séducteur (car tout Don Juan est voué aux flammes), il accepte aussi que la femme abandonnée ait sa revanche dans son âme. Le mot Vaudeville évoque Feydeau, les portes qui claquent et cette efficacité dramatique qui fait le sel du théâtre. Anouilh a ce rythme-là ; un emballage burlesque pour un paquet tragique venant des Atrides. Seul le théâtre enrobe tout. Et la foi dans la dramaturgie suppose un regard sur le monde.

Un boulevardier malgré lui mais qui le revendiquerait haut et fort ; voilà un premier paradoxe chez Anouilh.

Ni Brecht ni Artaud

Le théâtre d’Anouilh n’est guère joué. Plusieurs raisons à cela : ses pièces ont un grand nombre de personnages, nombre trop important pour l’économie d’un théâtre ; son œuvre reste partagée entre le boulevardier et le classique (trop classique ?) ; ses ayants droit, semble-t-il, veilleraient trop rigoureusement aux projets, cherchant peut-être à valider les options de mises en scène. Cette troisième raison se fonde sans doute sur des rumeurs, et il convient de regarder l’œuvre de Jean Anouilh, de s’interroger peut-être sur sa modernité. Il aurait pu écrire le mot de Gide : « Donnez une concession au public, c’est donner une ride à l’œuvre. »

Sur l’économie du théâtre, on distingue désormais deux types de pièces : les pièces de professionnels et les pièces d’amateurs. Pour les professionnels, l’auteur doit écrire un texte de 1 heure 15 minutes sans entracte, mettant en scène deux, trois personnages, quatre au grand maximum. On privilégiera donc les duos. Le théâtre amateur, au contraire, cherche une multitude de personnages (pour confier à chacun un rôle, même un petit rôle) avec une majorité de rôles féminins ; les femmes s’adonnant à l’activité dramatique plus sûrement que les hommes.

De ce point de vue, économique, le théâtre d’Anouilh est un théâtre pour les amateurs. Parce qu’il est d’abord un théâtre de troupe. Anouilh rêvait de troupe. Il rêvait son théâtre selon la troupe dont il disposait. Une troupe, c’est une famille. « Quand je n’ai plus d’idées, j’invente un personnage », disait-il. Demi-boutade en réalité comme tant de ses répliques. La troupe était le vrai matériau de son théâtre. Comme tous les auteurs, il assistait aux répétitions pour lire le texte, écouter les échos de sa voix, arranger tel ou tel passage pour qu’il tombe mieux en bouche. Mais de ces instants, il ne perdait rien et bien des attitudes se retrouvent dans les pièces qui ont un théâtre, une scène, le métier, au cœur de l’action.

On reste fasciné par la régularité de sa production et de son écriture.

La fantaisie de la vie, si elle peut se réaliser trouve son cadre au théâtre. La réalité divise le réel (forcément bourgeois, toujours convenu) et la jeunesse, toujours idéaliste. Les jeunes gens cherchent à faire triompher leur bonheur : ils y parviennent la plupart du temps.

La régularité du théâtre pouvait faire bouder le public : « C’est encore du Anouilh », disait-on pour s’excuser de n’aller pas applaudir un nouveau spectacle dont on se persuadait d’en connaître les thèmes – les aristos sont des salauds, les curés sont inutiles, les roturiers s’en sortent comme ils peuvent, les amoureux ne servent à rien, mais le monde est le monde et la révolte juvénile revient régulièrement comme un goût de printemps. On dira aussi, pour s’excuser encore, que le public d’Anouilh n’était fait que de bourgeois avant d’être remplacé dans la capitale par les cars de province plus attirés par une affiche que par un contenu. Que lui reproche-t-on en vérité ? Ne n’être ni Brecht ni Artaud, les deux piliers de la modernité : « Tout ce qui a transformé l’écriture dramatique et la représentation contemporaine, la forme brechtienne, les recherches inspirées par Artaud, les expériences venues de l’étranger, tout cela semble avoir glissé sur Anouilh comme l’eau sur les plumes de canard », écrit J.J. Roubine. Il est clair que le théâtre engagé d’un Jean Vilar ne se serait pas approché des plumes de L’Alouette. Il fallait passer par Brecht et Artaud. Hors d’eux, point de salut, au risque de les copier, de les singer et d’en écœurer le public las d’un théâtre sans intrigue, comme il se lassera plus tard de romans sans histoires. Anouilh suivait Molière et ce théâtre-là n’a pas les rides de ceux qui concèdent à la critique. Marre du théâtre expérimental ? Le public ne veut pas forcément d’une féerie à la Giraudoux ni de l’absurde à la Ionesco, mais des pièces qui le mettent en scène. Et c’est précisément ce que réalise Jean Anouilh avec fantaisie, avec métier (il se disait un artisan), motivé aussi par la misanthropie et l’alacrité de celui qui voit le jugement l’emporter sur l’enthousiasme. L’inspiration ? « C’est une invention des gens qui n’ont jamais rien créé. Nous entretenons la légende pour nous faire valoir, mais entre nous, c’est un bluff. Le poète ne connaît que la commande », dit Ornifle.

Qui est-il vraiment ?

Même sur un plan philosophie, et d’abord politique, Anouilh est inclassable. Pendant les années sombres de l’Occupation, il évite de partir à la guerre, est joué à Paris, publie dans le journal collaborationniste Je suis partout, mais fait jouer Antigone qui prône le refus du totalitarisme. Au moment de la Libération, il s’élève contre l’Épuration – il en tirera une pièce, La Foire d’Empoigne (1961) et un vrai sujet pour Pauvre Bitos ou le dîner de tête (1956). Théâtre bourgeois ? On l’a dit. S’opposant à Brecht et à sa vision marxiste du théâtre ? C’est certain. Anouilh écrit-il un théâtre de droite ? Ces classifications l’assomment. Il est ce qu’il est et il dit ce qu’il a à dire.

Pour lui, le monde idéal serait ordonné. Mais selon quelles règles ? Il y a les gens de belle naissance et les autres. Hélas, les premiers n’ont pas pris le monde en responsabilité : « Je n’ai jamais possédé que mon nom et beaucoup de cravates, dit un Comte. Et je suis probablement un incapable. » De même, il y a les purs qui se battent contre l’Histoire et qui s’en trouvent laminés : Jeanne d’Arc dans L’Alouette, Antigone, Becket ou Thomas More. Quand le rideau s’ouvre, on sait que c’est foutu. Anouilh, un idéaliste ? Il serait facile de le classer à droite, comme ça, on saurait à quoi s’en tenir. Il rêve d’une pureté qui serait l’unité de soi-même : « Je sais ce que vous allez me dire ; il faut rentrer en vous-mêmes. Je suis rentré en moi-même plusieurs fois. Seulement voilà, il n’y avait personne. Alors, au bout d’un moment, j’ai eu peur et je suis ressorti faire du bruit dehors pour me rassurer », dit le Général de Saint-Pré (La Valse des Toréadors).

Il se revendique de Molière (« notre tendre patron », écrit-il dans le programme du Nombril, bien que n’ayant pas la générosité de l’Honnête homme du XVIIe siècle. Pour lui, l’homme est un loup pour l’homme et les bontés extérieures ne sont que des conventions sociales ou des besoins de se faire plaisir. Il eut été monarchiste si un homme put être roi. Seulement voilà, la grandeur, l’héroïsme, la bravoure, si elles existent, n’appartiennent qu’à la révolte inutile de la jeunesse (Antigone) qui se sacrifie alors que le sacré n’existe plus.

Comme Molière, il a le culte de la jeunesse et le souci de la troupe. Elle lui permet de créer une famille, le temps d’un spectacle. Elle est son matériau premier, son lieu d’observation qui l’entoure. Comme Molière, il crée des personnages forts en gueule et en tempérament qui font tourner le monde en bourrique autour d’eux-mêmes. Harpagon, Arnolfe, Orgon, Argan, Monsieur Jourdain sont les aïeux d’Onifle, du général de Saint-Pé, d’Antoine de Saint-Flour. De La Valse des Toréadors, Anouilh avouera qu’il a usé d’un « ton moliéresque de farce tragique ». L’imprégnation va jusque dans les répliques. On se souvient de Sganarelle demandant à Dom Juan en quoi il croit, et s’entendre dire : « Je crois que deux et deux font quatre et que quatre et quatre font huit. »

« Mais vous ne croyez en rien sur cette terre ? » demande-t-on à Ornifle. La réponse est claire : « Je crois que deux plus deux ne font pas quatre et que quatre et quatre ne font pas huit. » Les médecins d’Ornifle accourent dès qu’il a un malaise. Ils arrivent avant de rejoindre une soirée costumée. Ils sont déguisés en médecins de… Molière ! Et diagnostiquent de conserve : « Le Poumon ! » comme Toinette dans Le Malade imaginaire.

Et comme Molière se met en scène dans L’Impromptu de Versailles, Anouilh écrit le personnage de l’Auteur dans La Grotte, qui convoque les comédiens, parle avec eux de leur rôle et ordonne devant le spectateur la pièce qui se déroule. Le jour de sa mort, Michel Galabru qui jouait L’Huluberlu au théâtre du Palais Royal, confiait à Patrice Carmouze : « On va s’apercevoir que c’était le Molière de l’époque. » (Le Quotidien, 5 octobre 1987) Il avait tout dit, presque.

Plonger dans la Grotte pour comprendre…

« La Grotte, a représenté un paroxysme dans la critique anouilhesque de la vie bourgeoise. L’auteur y a mis en péril tout ce qui le touchait, y compris son admiration pour ses devanciers dans le métier, comme Tchekhov. Il a sacrifié au théâtre ce qu’il avait de plus cher, parce que le théâtre lui était encore plus cher que tout […] On s’aperçoit que c’est la pièce la plus terrible de tout le théâtre d’Anouilh, la plus risquée où le désespoir est le plus étincelant », écrit Bertrand Poirot-Delpec dans Le Monde du 5 octobre 1987. À défaut de la voir jouée, cette pièce doit être relue.

Elle met en scène un théâtre dans le théâtre. Un hôtel particulier avec à l’étage la haute société et, en sous-sol, dans la cuisine, la Grotte où règne Marie-Jeanne, cuisinière hors pair qui a eu un enfant du comte, jadis, enfant devenu séminariste. Elle est retrouvée mortellement poignardée. Un commissaire est dépêché et mène son enquête. Ce serait lisse comme un roman policier ou une pièce anglo-saxonne si l’auteur de la pièce ne venait sur scène pour tout embrouiller. Il tient subtilement le rôle de monsieur Loyal qui autorise les retours en arrière sans les artifices du souvenir qui renvoient dans le passé. « Les retours en arrière ? Une littérature de crabes », dit-il. Pas de flash-back donc mais une action qui progresse toujours en creusant dans le matériau humain et social. Parfois, l’Auteur refusant de voir ce qui se passe, parce que la situation lui échappe, quitte le plateau : « Au point où j’en suis, les règles de la construction dramatique, vous pensez bien que c’est le cadet de mes soucis. » Il est vite dépassé par la situation mais surtout par la pièce elle-même, par sa confrontation avec les idées et les personnages : « Généralement, c’est dans les pièces qu’on n’arrive pas à écrire qu’on avait le plus de choses à dire… Dès qu’il y a plus de trois sentiments, au théâtre, on s’embrouille… » Il aura d’ailleurs le mot de la fin : « Excusez les fautes de l’Auteur, mesdames et messieurs. Mais cette pièce-là, il n’avait jamais pu l’écrire. » C’est dire si, dans La Grotte, il avait le plus de choses à exprimer. Il fait d’ailleurs appel à un personnage récurrent, le Père Romain : « J’ai beaucoup servi Monsieur en effet. Le Voyageur sans bagage, 1937 ; Léocadia, 1940 ; Le Rendez-vous de Senlis, 1941 ; L’Invitation au château, 1947 : Monsieur a toujours été satisfait de mes services. » Le monde qu’il peint est séparé en deux. L’union, si elle s’est faite un soir, n’a donné qu’un pauvre séminariste : « Tu es un corniaud, dit sa mère, tu n’es ni d’en haut ni d’en bas. » Horrible destinée quand le sacré n’est plus… Mais c’est bien dans La Grotte, avec sa dimension platonicienne, qu’Anouilh exprime le plus simplement son sentiment de l’ordre : « Il y a un ordre social établi, dit le Père Romain. Pour ma part, il me satisfait, car j’estime que chacun y trouve sa vraie dignité, à sa place. » On constate qu’« en haut, la vertu est une tradition » et finalement que « chacun doit jouer son rôle là où le sort l’a placé ». Et pour autant, Anouilh aimerait croire en l’expression heureuse d’un monde meilleur : « C’est un devoir de le dire et d’écrire des pièces où il y a des braves gens et de bons sentiments. Il faut travailler dans les bons sentiments, rien que dans les bons sentiments. Et tant pis pour la littérature. Il n’y a que les hommes de lettres qui se figurent qu’elle a de l’importance. » Qui a dit que c’est avec de bons sentiments qu’on faisait de la mauvaise littérature ? Celui-là aura gavé et fait gaver les lecteurs d’autofictions marquées d’incestes, de viols, de suicides, de drogues et d’empoisonnement de la vie. Il aura réussi à faire fuir les acheteurs de livres. Anouilh, misanthrope assuré, n’eut de salut que le théâtre. Et le théâtre commence par le public. Il l’avait compris. Au lieu de regarder la fidélité au public, de constater la régularité de l’écriture, on lui reprocha la facilité des succès.

La critique est ingrate, motivée par toutes sortes de jalousie.

Le Simenon du théâtre ?

Anouilh était au théâtre ce que Simenon fut au roman. Ils ont sept ans de différence et meurent à deux années près ; tous deux en Suisse pour fuir le fisc français ; riches, donc. Deux monstres sacrés de la popularité partis de pas grand-chose et qui ne crurent qu’en eux-mêmes. Ils eurent des vies sentimentales complexes (Anouilh se maria trois fois), coururent après le succès faisant fi des camps opposés pendant la guerre, travaillant comme des brutes pour rendre leurs textes simples, évidents, magnifiques de naturel. « Tu m’aimes, n’est-ce pas ? demande Antigone à Hémon. Tu m’aimes comme une femme ? Tes bras qui me serrent ne mentent pas ? Tes grandes mains posées sur mon dos ne mentent pas, ni ton odeur, ni ce bon chaud, ni cette grande confiance qui m’inonde quand j’ai la tête au creux de ton cou ? »

Simenon, considéré comme un auteur de romans de gare ; Anouilh comme un boulevardier. Ayant tous les deux un goût du populaire, de la serveuse légère et de la cuisinière qui en sait trop, constatant tous deux la lâcheté des hommes qui pousse au pouvoir jusqu’à la folie ou au meurtre.

Posthume

Après sa mort, parut aux éditions de la Table Ronde Thomas More ou l’Homme libre. Un texte écrit pour le cinéma. Un épisode historique comme Anouilh en fit avec Louis XVI, Beckett, Jeanne d’Arc… More est le chancelier d’Henry VIII qui divorce pour épouser Anne Boleyn. Il refuse de prêter serment au roi et d’agir dans le sens du schisme anglican, et sera condamné à mort par les sinistres Cromwell et Rich. Il conseille à sa majesté « ce qu’elle doit faire et non ce qu’elle a le pouvoir de faire. De la sorte – de la sorte seulement – vous vous conduirez toujours en fidèle et sage serviteur. » Et lorsqu’il prie dans la nuit d’angoisse qui précède son exécution, moment qui rappelle l’agonie du Christ au Mont des Oliviers, Thomas More dit simplement : « Préservez-moi aussi de l’orgueil qu’il y a à se croire le seul juste et de la présomption qu’il y aurait, pour moi, à juger les autres. Leur conscience est cachée à ma vue au tréfonds de leur cœur, et s’ils peuvent agir autrement sur cette terre, tant mieux pour eux, mais moi, je ne le puis… » C’était sans doute le testament de Jean Anouilh, l’Homme libre.

Christophe Mory