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Kléber Haedens

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  « Grand gaillard féru de rugby, prodigieux compagnon de table, paysan de Garonne, insulaire d’Oléron qui faisait régner sur les lettres françaises la terreur du bon sens et du goût » résume Michel Déon. Chevelure drue poivre et sel, camarade exemplaire, écrivain du bon plaisir, expert en existence heureuse et en spiritueux sirupeux, Kléber Haedens est surtout un critique à part. Faux paresseux travaillant clandestinement, ennemi du «littérairement correct», il fustigea avec une douce ironie les oeuvres grises, les âmes tièdes et le désespoir érigé en dogme : «Il faut faire ce que l’on veut, dans les romans comme dans la vie.»

Son Histoire de la littérature française écrit en 1943 continue d’impressionner par son érudition, d’autant plus impressionnante si l’on sait que l’auteur n’avait que la trentaine au moment de son entreprise. Du moyen-âge jusqu’aux années 70, Haedens effectue une rétrospective des principaux auteurs avec un enthousiasme frénétique. Sinon, peu de romans, mais des bons. Son oeuvre provoqua d’épisodiques et restreints remous, disons qu’elle fit scandale. Elle était si claire qu’elle parut suspecte. Distribuant des leçons de liberté à un monde pas préparé pour l’imprévu.

Transcendant l’humour, l’appétit de vivre et une insaisissable promptitude à capturer l’écume dorée du hasard ; il va transformer ses jours en une danse de funambule; là où il tâte de sa plume les mots ruissellent en élégantes étincelles d’insouciance, et de bonheurs partagés. Des ouvrages délectables et savoureux, une raillerie des parti pris, dont l’enthousiasme, la grâce et l’esprit malicieux redonnent du gout à la chose littéraire si altérée par le bizantisme des écoles littéraires, la pédanterie des critiques, et la bigoterie des chapelles politiques. 

Issu d’une famille conformiste, Kléber Haedens subit d’abord la douce tyrannie familiale. Ses parents le destinent à une carrière militaire (son père était officier d’artillerie) mais son inclination pour cette dernière lui est peu naturelle. On exigera alors de lui qu’il s’oriente vers le commerce et l’industrie. Si le diplôme est obtenu, la frustration le guette. Et comme souvent, les goûts et les passions s’affermissent d’être jalonnées d’obstacles. « Si mes parents m’avaient rasé dès mon jeune âge avec les difficultés techniques dans les partitas de Bach pour clavecin et l’emploi du passé défini chez Flaubert, la musique et la littérature étaient perdues pour moi. En revanche, je leur dois une horreur indélébile de l’ennui. » écrit-il dans Adios, (1974).

kléboAprès son baccalauréat, cet homme qui n’aimait que la littérature et le sport choisit… une école de commerce à Bordeaux ! Puis il monte à Paris et entre à la rédaction de Aux Écoutes où il est chargé du cinéma, du théâtre, de la littérature et du sport. D’une curiosité inappréciable, Kléber Haedens ne tarde pas à faire preuve de son éclectisme. Gastronomie, rugby, tennis, tauromachie, jazz et bien sûr la littérature sont pour lui de vifs enchantement dont il acquiert rapidement une connaissance approfondie.

Kléber Haedens, parce qu’il a beaucoup de talent, peu de pru­dence et aucun besoin, se retrouve dans les années 30 à L’Action française. À la rubrique des sports, puis à la page littéraire. Ce qui l’intéresse dans l’équipe qu’il rejoint, ce n’est pas tant la doctrine que le regard. Aussi son vrai maître n’est ni Maurras ni Bainville mais Léon Daudet, le tonitruant Léon Daudet, qui lui enseignera que la critique littérai­re se déguste brûlante ou glacée mais jamais tiède.kléoiu

En vertu de quoi, quand il publiera à trente ans, en pleine guer­re, Une histoire de la littérature française,ce jeune insolent fera figure d’impitoyable déboulonneur des monuments officiels. Il fait sien le mot de Daudet : « La patrie, en littérature, je l’emmerde » et commence un combat sans pitié contre les écrivains engagés. Ce qui ne l’empêche pas de collaborer régulièrement à l’AF repliée à Lyon, tout en rendant quelques services aux royalistes passés à la Résistance.

Sous l’Occupation, avec quelques camarades de Combat dont Claude Roy, il adhéra aux Compagnons de France, mouvement qui dépendait du Secrétariat général à la Jeunesse du gouvernement de Vichy. Mais dans ses articles de la revue lyonnaise Confluences et du Figaro entre autres, comme dans ceux de 1940-1942 dans des journaux de zone sud (L’Alerte, Idées), ce maréchaliste n
‘hésitait pas à moquer la prétention du nouvel ordre moral à régénérer la littérature : »Entreprendre le redressement d’une littérature qui compte des écrivains comme Claudel, Maurras, Valéry, Proust, Gide, Giraudoux, Montherlant est une prétention ridicule. On n’avait pas eu une pareille floraison de talent et de génie depuis le XVIIème siècle » (cité par Gisèle Sapiro dans La Guerre des écrivains, Fayard, 1999). La littérature au-dessus de la politique : ce sera sa constante jusqu’à sa mort. Quant à sa collaboration à l’hebdomadaire Je suis partout, brandie par ses adversaires d’aujourd’hui, elle se résume à deux articles littéraires les 25 mars et 1er juillet 1938, et à une nouvelle intitulée « Pas de chance » le 22 mars 1940.klebby

Son premier enracinement depuis l’enfance, il va le trouver à Montparnasse, dont il devient, au lendemain de la guerre, une des figures pittoresques. Il cultive un personnage rabelaisien, boit beau­coup, séduit les demoiselles, s’entoure d’amis bien choisis pour mener la vie au grand galop comme dans un roman d’Alexandre Dumas. Avant-guerre, Haedens avait publié trois livres : Magnolia-julesUne jeune serpente et L’Ecole des parents qui obtient le Prix Cazes en 1937, alors qu’il a seulement 25 ans. En 41 : un corrosif pamphlet enrichit son oeuvre : Paradoxe sur le roman. 

En 1947, Kléber Haedens publie Salut au Kentucky. Ce livre sera symptomatique d’une époque où les polémiques littéraires avaient la dure résonnance d’une affaire d’Etat pourvu qu’il secouait le cocotier sartrien. Le pays pouvait être secoué. La littérature avait encore toute sa place. Sacha Guitry et René Benjamin, évincés de l’Académie Goncourt, ont décidé d’attribuer un Prix « Goncourt hors Goncourt » à Kléber Haedens pour son roman Salut au Kentucky.

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